Gérer le mildiou sans CMR et avec une bonne qualité de pulvé

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Le souvenir de l’année 2018 est encore bien frais. À Bordeaux, la pression mildiou avait été considérable. Une remise en cause des pratiques s’ensuivit dans de nombreux domaines. Le retour du mildiou en 2020 a été l’occasion de mesurer la pertinence des résolutions prises. Deux châteaux, l’un sur Saint-Émilion et l’autre sur Saint-Estèphe, font le point.

Le mildiou est bien connu dans le Bordelais. Pourtant en 2018, l’exceptionnelle virulence de la maladie prit de court les vignerons. Localement, les pertes de récolte furent très importantes, comme au Château Palmer, grand cru classé à Margaux, qui annonça en sortie de vendanges des rendements de 11 hl/ha.

« La pression mildiou était forte, mais on ne pouvait pas se contenter de cette explication pour justifier les pertes de rendement, introduit Daniel Duffon, chef de culture à la SCEA Cap de Mourlin à Saint-Émilion. Comme beaucoup après 2018, j’ai remis à plat toute ma stratégie de protection : cadence, qualité de pulvérisation, choix des produits… Tout a été passé au crible, mais les changements les plus importants touchent à la pulvérisation. Pour évaluer sa qualité, nous avons commencé par placer des papiers hydrosensibles dans la végétation. Nous avons constaté des problèmes importants sur la répartition des gouttelettes. Sur les pulvérisateurs face par face pneumatiques traînés, qui n’étaient pas en bout de course, nous avons donc fait apporter des modifications. La main la plus basse a ainsi été reculée ; moins proche de la végétation, elle couvre un spectre plus large. Autre souci avec ce matériel : le mouvement des pendillards. À trop bouger de haut en bas, ils arrivent à pulvériser le tronc ou l’air. Nous avons donc changé nos pratiques d’entretien du sol afin de l’aplanir au maximum. » Sur les inter-rangs où passe le pulvérisateur, le cavaillon n’est plus désherbé mécaniquement. Un rang sur trois est donc totalement enherbé.

Daniel Duffon est chef de culture à la SCEA Cap de Mourlin à Saint-Émilion qui compte deux châteaux en AOC Saint-Émilion. photos : S.Favre/Media et Agriculture

Améliorer le matériel existant puis renouveler pour du mieux

Une partie du parc pulvé a par ailleurs été renouvelée. Deux des quatre face par face pneumatiques ont été remplacés par des pulvérisateurs à jet porté à flux tangentiel. « Il y a moins de dérive apparente avec ces appareils. Les conducteurs apprécient la robustesse et la simplicité d’utilisation. On constate aussi moins de jets bouchés. À terme, nous allons remplacer tous nos pulvérisateurs traînés par ce type d’équipement en jet porté. » Mais ce choix n’est pas sans conséquence pour Daniel Duffon. « Pour garder la même réactivité, il nous faut passer de quatre à cinq pulvérisateurs. Avec les jets portés, nous passons tous les deux rangs contre trois avec les pneumatiques (face par face). Pour la prochaine campagne, nous aurons donc en plus en enjambeur Tecnoma équipé d’une cellule de la même marque qui permettra de traiter quatre rangs complets par passage. Pour 2021, nous pourrons facilement traiter les 55 ha en une journée. Finalement, avec tous ces changements, nous gagnons en qualité et en réactivité. »

Sur la rive gauche, au Château Laffitte Carcasset à Saint -Estèphe, la qualité de pulvérisation est une des préoccupations fortes de Grégory Payen le chef de culture en charge des 40 ha de vignes. « Nous sommes équipés de deux pulvérisateurs face par face pneumatiques Berthoud Speed Air. Ils peuvent traiter sept rangs en un seul passage, mais à ce niveau, le brassage d’air n’est pas suffisant pour faire pénétrer la bouillie dans toute la végétation. Donc pour gagner en qualité de pulvérisation, j’ai fait retirer deux descentes ; nous emmenons cinq rangs à la fois. Depuis, je constate moins de mildiou. » Cette meilleure protection s’accompagne théoriquement d’une baisse du débit de chantier donc de réactivité. « Finalement non, car nous avons changé la vitesse de travail pour passer de 4,5 à 5,5 km/h. Cela compense le passage de sept à cinq rangs », estime Grégory Payen. Le volume de bouillie a aussi été modifié, toujours dans l’optique de gagner en protection. « Désormais, nous travaillons à 160 - 170 l/ha contre 130 - 140 l/ha auparavant. C’est beaucoup avec des engins pneumatiques mais je pense que sur les insecticides, il faudrait aller encore plus loin et viser les 200 l/ha. Ce changement demande de revenir un peu plus souvent à l’atelier pour remplir, mais nous pouvons néanmoins tout traiter sur la journée. Notre parc est bien dimensionné avec trois pulvérisateurs cinq rangs (deux Berthoud et un Grégoire) et nous pouvons compter sur une équipe impliquée, même les jours fériés. Car cette année, il ne fallait pas s’entêter à garder des cadences fixes. »

S’adapter au risque épidémiologique

À plusieurs reprises, sur la SCEA Cap de Mourlin comme à Laffitte Carcasset, des traitements ont été renouvelés plus rapidement que prévu. « Pour les week-ends du 1er, du 8 mai et de la Pentecôte, des pluies importantes étaient annoncées sur Saint-Estèphe, se remémore Pierre Maussire, le directeur technique du Château Laffitte Carcasset. Potentiellement, avec la rémanence des produits que l’on utilise, on pouvait attendre. Mais notre conseiller, qui d’habitude est plutôt à nous freiner nous a recommandé d’intervenir. Le risque épidémiologique était selon lui trop élevé. »
Rémi Lamarque, du négoce CIC, revient sur son conseil : « Pour estimer le risque mildiou, nous nous basons sur les BSV et le suivi des œufs d’hiver, mais aussi sur des modèles qui intègrent des données météo locales (température, hygrométrie et pluviométrie).

Pierre Maussire, le directeur technique du château Laffitte Carcasset, et Grégory Payen, chef de culture pour les 40 ha de vigne du domaine, améliorent chaque année la qualité de pulvérisation.

Le risque épidémiologique évalué par Decitrait s’échelonne de 1 à 4. Cette année, notamment pour les épisodes pluvieux de mai, les modèles prévoyaient un risque de 3 ou 4. Sans une protection solide, des contaminations épidémiques étaient à craindre. Il valait mieux raccourcir les cadences pour éviter toute perte de récolte. D’autant que le Château Laffitte Carcasset et Cap de Mourlin n’utilisent pas de produits CMR 1 et 2. Sur des programmes de ce genre et sur des millésimes difficiles, il n’y a pas de place pour "l’à-peu-près". Dans un ordre d’importance décroissant, la date de traitement, la qualité de pulvérisation et le choix des molécules devaient être bons. »

Au bilan, sur les deux domaines passés au crible et malgré des stratégies différentes, les choix faits durant la campagne 2020 semblent avoir porté leurs fruits : la vendange 2020, malgré la pression mildiou importante est saine et en phase avec les objectifs de rendements fixés.

Château Laffitte Carcasset, AOC Saint Estèphe (33)
Des produits autorisés en AB à proximité des habitations

Sur les huit parcelles du Château Laffitte Carcasset attenantes à des habitations, seuls des produits compatibles avec la certification AB ont été pulvérisés cette année. « Du soufre et du cuivre, résume Grégory Payen. La veille avant chaque traitement, je préviens par SMS la dizaine de foyers concernés. Ils sont au courant que ce sont des produits bio. Cette démarche les rassure, mais ils sont surpris de nous voir traiter plus souvent les vignes : 18 passages contre 12 en conventionnel cette année. Cette expérience nous a aussi rassurés : même en année de forte pression mildiou, nous avons réussi à maintenir un programme biocompatible sans perdre de récolte et en utilisant au total 4 kg de cuivre métal/ha et au plus 350 g/ha par passage. »
Cap de Mourlin, AOC Saint-Émilion (33)
Reprendre ses anciens programmes

« Depuis 2014, nous n’utilisons plus de produits classés CMR avérés et potentiels. Mais même après des années mildiou compliquées à gérer, nous n’envisageons pas d’en réintégrer, affirme Daniel Duffon, chef de la structure.

Suite au millésime 2018, des modifications de programme ont été faites sur les trois domaines de la SCEA Cap de Mourlin. « Depuis 2014, nous n’utilisons plus de produits classés CMR (cancérigène, mutagène et reportoxiques) avérés et potentiels. Mais même après des années mildiou compliquées à gérer, nous n’envisageons pas d’en réintégrer, affirme Daniel Duffon, le chef de culture de la structure. Maintenir cette décision n’est pas sans conséquence : il faut prendre soin d’éviter la mise en place de résistance sur les molécules non-CMR. C’est en reprenant tous les programmes des dernières années que j’ai constaté qu’une molécule était systématiquement utilisée. Officiellement, elle est « non concernée par les phénomènes de résistance », mais sur le terrain certains pensent que son efficacité s’érode. Donc dans le doute et par précaution, je vais m’en passer pour quelques campagnes. » Autre enseignement de 2018 : lever le pied sur les réductions de dose ! « En pleine végétation, les réductions de doses réalisées n’étaient pas pertinentes, admet Daniel Duffon. Cette année, seuls les deux premiers traitements étaient à dose réduite à -30 % de la dose homologuée. Avec le recul, j’aurais pu aussi le faire sur le T3, mais depuis 2018 je suis plus prudent. »

Article paru dans Viti 456 de novembre-décembre 2020

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