Non, le rosé n’est pas une mode ?

En France les ventes de vin rosé dépassent le vin blanc dans tous les secteurs (en grandes surfaces, chez les cavistes comme les restaurateurs).  Photo : DR

Premier vin de l’histoire, autrefois vin des rois et des puissants, le rosé est ensuite tombé en disgrâce pendant plusieurs siècles jusqu’à ce qu’aujourd’hui, le consommateur le plébiscite.
Il y a vingt ans seulement, le rosé n’était pas pris au sérieux avec des remarques du genre "ce n’est pas du vrai vin". Force est de constater qu’aujourd’hui son développement est un mouvement de fond, une vrai tendance de consommation installée au niveau mondial. En France ses ventes dépassent le vin blanc dans tous les secteurs (en grandes surfaces, chez les cavistes comme les restaurateurs).  

Nous allons démontrer ci-dessous qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode, mais bien d’une tendance lourde inscrite sur le long terme.

Sur le plan sociologique 

Il existe un phénomène "rose" qui, selon de nombreuses études, et en particulier celles du Professeur Michel Maffesoli (Sorbonne) (1), est ancré dans le long terme et qui a pour fondement le constat suivant:
nous vivons un changement mondial et radical de société qui est équivalent aux ruptures qui se sont passées entre la période antique et le moyen âge et entre le moyen âge et l’époque dite "moderne". Nous rentrons progressivement, depuis les années 1960, dans une époque qualifiée de "post-moderne". Ces grandes époques durent plusieurs siècles. L’époque moderne, qui débute avec Descartes et le Siècle des Lumières, se caractérisait par la forte puissance du rationnel, des notions d’ordre, de structure, de travail, de hiérarchie, de responsabilité ; une époque où l’on travaille (beaucoup), pour plus tard (le paradis ?) ; une époque tranchée où l’on distingue bien le bon du mauvais, la droite de la gauche, l’homme de la femme, le paradis de l’enfer, le blanc du noir, et par extension, le vin rouge du vin blanc… Sa figure emblématique est l’adulte, producteur, reproducteur, travailleur, sérieux, compétent. 

L’époque "post-moderne" se traduit par un regain de centrage de l’individu sur lui-même : hédonisme, recherche du loisir, du ludique, du plaisir. C’est une époque assez "narcissique", celle du "selfie". Les choses deviennent éphémères, tout change (même le climat !).
Cela entraîne une forte perte des repères traditionnels matérialisée par un affaiblissement des structures (l’Etat, les gouvernements, les syndicats, etc…) et une montée en puissance de l’individu d’autant plus relié avec les autres grâce à la puissance des médias sociaux.
On est dans l’émotionnel, concept opposé au "rationnel" qui a caractérisé l’époque "moderne". L’époque se féminise. Le mot clef de cette période est "l’ambiguïté", sa figure emblématique, l’"enfant éternel" (comme Dionysos et tel que le décrit Michel Maffesoli dans son livre du même nom).

La couleur rose dont le défaut était à l’époque "moderne" de n'être ni blanc ni rouge, d’être un hybride, d’être asexuée, un mélange, est devenue une qualité à l’époque "post-moderne": être complètement ambiguë. Ce qui était une faiblesse devient une grande force.
C’est un vin sans compromis, un vin de l’instant, un vin qui se boit (plus qu’il ne se déguste). Un vin d’émotion, un vin ambivalent. Le rosé, c’est la fête simple, c’est le ludique. L’esprit "rosé", c’est l’esprit du temps. Il est consommé par pur plaisir et dans la vraie vie. Il est associé aux moments positifs, sincères, conviviaux et décontractés de la vie. C’est un vin de partage, social, facile. Il s’oppose à la culture traditionnelle du vin qui est souvent austère et cadrée dans des occasions particulières, souvent bourgeoises et élitistes.

 Sur le plan linguistique, lexicographique et symbolique

Annie Mollard-Desfours, de l’Institut de linguistique française (CNRS), constate que tout ce que l’on peut dire de la couleur rose, s’applique au vin.

Opposé au rouge de la passion, le rose est la couleur de l’idéalisme, du romantisme et de la sentimentalité irréaliste. C’est une couleur insaisissable (entre le rouge et le blanc ; parfois proche de l’orange, du violet, du jaune, "une couleur indécise variant des pâleurs aux intensités", selon Homère, surprenante, au large éventail de nuances, de sensations, de sens et de symboles complémentaires ou contradictoires.
Le rose évoque la gourmandise : rose bonbon, rose praline, rose "chamallow", guimauve, loukoum, tagada… Le rose est aussi couleur de la féminité et de la petite fille. Barbie, joue la « rositude » et Tati, le Vichy rose. Cette couleur peut aussi avoir des connotations perverses (minitel rose…), ou être un signe de dérision (homosexualité dans les camps nazis).  Le ROSE, c’est aussi EROS, son anagramme et Dieu de l’amour dans la Grèce antique ; c’est la chair, la nudité.  C’est aussi le rose socialiste, ou encore la couleur des excentriques, ou de la nostalgie (la couleur des buvards de l’enfance…). OSER, est aussi un autre anagramme.

Le rose est partout dans la mode, de Christian Lacroix (qui a même déposé le sien) au modèle « PINK » de Swatch, en passant par les maillots d’une grande équipe de rugby… tout le monde, hommes ou femmes, porte du rose et c’était loin d’être le cas il y a 20 ans.

Une croissance qui n’est pas prête de s’arrêter

Les ventes de vins rosés progressent dans tout l’occident et parfois avec une croissance à deux chiffres (les ventes de rosé de Provence ont augmenté de 40% l’an dernier aux USA). Les rosés font l’unanimité. Ils couvrent 9,6% de la production mondiale (dont 80% sont produits par 4 pays avec la France au premier rang). La consommation mondiale a progressé de 20% en 10 ans.
 

Le rosé n’impressionne pas mais séduit. Il a su transformer ses faiblesses en forces. Il est reconnu pour son accessibilité, sa simplicité. C’est un vin plaisir, sans chichi, convivial, facile, frais et au goût charmeur. Il est en phase avec l’attente de son époque et le comportement et l’aspiration des consommateurs de plus en plus à la recherche de simplicité. Il est bon et pas intimidant ce qui est loin d’être le cas pour le rouge et souvent le blanc qui sont parfois vus comme compliqués, rigoristes ou pesants.
Les rosés ont réveillé le monde du vin et développé sa consommation globale en s’ouvrant à des nouvelles générations. On note que de plus en plus le rosé correspond à un « état d’esprit » et qu’en conséquence sa consommation se désaisonnalise progressivement.

Le rosé s’inscrit donc bien dans une logique de société pérenne sur le long terme et probablement pour plusieurs siècles.
Il reste aux producteurs à savoir se saisir d’une telle opportunité. Juste retour des choses !

(1) Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien, Université René Descartes, Sorbonne Paris I

James de Roany, Gérant de Global Vini Services

 

 

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