Le merlot peut-il s'adapter au changement climatique ?

Le merlot, cépage emblématique du vignoble français et notamment du Sud-Ouest, est confronté aux conséquences du changement climatique. Des terroirs traditionnellement bien adaptés ne le sont plus sur les millésimes secs de plus en plus fréquents. De nouvelles pratiques sont à envisager pour ne pas renoncer au merlot. 

Cépage rouge le plus présent en France avec 112 000 ha en 2021, le merlot est intimement lié aux vignobles du sud-ouest de la France où il participe à la renommée d’appellations mondialement reconnues comme Saint-émilion. Le seul département de la Gironde accueille d’ailleurs 60 % des merlots français !

Mais la variété qui occupe 14 % des surfaces viticoles du pays n’est plus à son apogée. Après un pic en 2005 à 118 000 ha, les surfaces se sont (légèrement) érodées pour aboutir à un plateau sur la période 2011-2019. Depuis deux ans, de nouveau, le merlot recule. Attention, on ne détrône pas un roi rapidement en viticulture, mais il est raisonnable de s’interroger sur l’avenir de son règne. Le changement climatique pourrait-il déstabiliser l’ordre établi ?

Des témoignages terrain le laissent penser comme récemment celui des vignerons bio du Lot-et-Garonne qui dans leur communiqué de presse dédié aux vendanges 2022 « année de la canicule » indiquent que « le cépage merlot montre à nouveau ses limites avec des concentrations en sucre au sommet. Se pose la question de la pérennité de ce cépage, à la fois fragile [au mildiou] et avec une précocité qui place sa maturation lors des canicules d’août ou septembre ».

Les terroirs à merlot historiques ne sont plus adaptés au cépage

Pascal Hénot, œnologue conseil depuis 35 ans et directeur du centre œnologique Enosens de Coutras sur la rive droite du bordelais, terre de merlot, constate lui aussi un changement, et il concerne l’adaptation du cépage aux terroirs. « Le réchauffement climatique que l’on connaît dans la région modifie le rendu du cépage. Sur certains terroirs, il n’est plus adapté. À l’inverse des terroirs qui jusqu’à présent ne convenaient pas au merlot donnent de bons résultats. On assiste à une inversion de la hiérarchie qualitative des terroirs propices au merlot dans le bordelais. Les grands terroirs à merlot d’hier sur des sols filtrants de graves ou de sables sont désormais trop chauds et trop précoces. Sur ces sols, on ne constate pas de blocage de maturité mais plutôt des mauvaises maturités. Les vins n’ont plus de belles expressions fruitées, les tanins sont secs, les degrés élevés. C’est mal mûr ! A contrario, le stress hydrique rend certains sols argileux, plus froids, et plus riches, aptes à faire de beaux vins de merlots. L’année 2022, chaude et sèche, signe la revanche des terroirs modestes. Ce sont eux qui ont donné une belle qualité de vendange au merlot. »

En 25 ans, plus 2,5 degrés d’alcool sur la rive droite de Bordeaux

Pour l’expert, le merlot n’est pas dépassé dans le bordelais mais « il n’est plus adapté aux mêmes terroirs. Ce peut être attribué au changement climatique, continue Pascal Hénot. En 30 années de relevés effectués par Enosens, les dates de floraison et de vendange se sont avancées d’une semaine sur le merlot en Gironde. Ce décalage phénologique qui peut sembler somme toute faible se répercute sur la maturité. Sur nos parcelles de merlot de référence, on constate une augmentation du degré d’alcool potentiel de près de 2,5 points depuis la fin des années 90. L’acidité totale a baissé de 1 g/l H2SO4, idem pour la concentration d’acide malique. Concernant le pH, on mesure en 25 ans, une hausse de 0,15 point. En tendance, malgré la variabilité interannuelle, on peut estimer que le pH moyen des merlots est passé de 3,60 à 3,75. »

Un cépage moyennement résilient dans le Languedoc

Le merlot ne s’est pas fait une belle réputation que dans le Sud-Ouest dans la France. Le cépage a aussi su se faire une place plus au sud dans le Languedoc où l’on recense approximativement 26 000 ha de merlot, exclusivement en IGP. Dans les départements de l’Aude et de l’Hérault, le cépage se positionne au deuxième rang des cépages rouges les plus cultivés, à la troisième place dans le Gard.

Mais si l’on se réfère aux experts du Giec, la zone est particulièrement exposée au changement climatique : « En Méditerranée, le changement climatique sera l’un des plus radicaux au monde ». Dès à présent, les études montrent un réchauffement significatif du climat notamment dans le Languedoc (voir article page 24 du magazine). Nous nous sommes donc rapprochés de l’ICV, spécialiste dans le conseil et l'analyse du vin très implanté sur l’arc méditerranéen. Quels constats dressent les équipes du groupe concernant le merlot ? Jacques Rousseau, responsable des services viticoles répond : « Depuis deux ans, nous étudions le comportement de cépages méditerranéens comme l'assyrtiko, le nero d'Avola, le montepulciano ou encore le verdejo. Ces études, nous ont amenés à réfléchir aux traits de résilience des cépages face au changement climatique. Dans ce cadre, il est possible et intéressant d’étudier le comportement du merlot pour chacun des traits testés. »

Vis-à-vis de la tolérance à des stress hydriques élevés dus à des périodes prolongées de sécheresse, « le merlot n'est pas le mieux placé, reconnaît Jacques Rousseau. Le cinsault ou le carignan se comportent mieux ». Face aux coups de chaud, avec des températures supérieures à 40 °C, le recul est faible. « Mais si l’on se réfère à l’épisode de juin 2019 où les températures sont montées à 46 °C dans l’Hérault, on peut dire que merlot n'a pas eu de vertus particulières. Il n'a pas non plus montré de sensibilité particulièrement plus élevée. »

Le changement climatique induit aussi une augmentation des dégâts de gelées de printemps, avec l'avance des dates de débourrements. « Et dans ce contexte, une date débourrement tardive ne sera pas un critère suffisant pour y échapper. Selon les modèles étudiés par l'Inrae, nous tendons vers une avance de la date de débourrement de 20 jours d’ici 2050. Même des cépages tardifs comme le cabernet sauvignon seront exposés. De fait, la fertilité secondaire c’est-à-dire l’aptitude à produire du raisin en cas de repousses des bourgeons secondaires après destruction des bourgeons primaires est un critère de résilience important. De ce point de vue le merlot est un cépage intéressant puisque ses contre-bourgeons sont très fertiles. »

Sauvé par l’irrigation

Pour ce qui est des vins, le comportement du merlot se révèle moyen tant sur le potentiel malique que sur sa capacité à maintenir une belle aromaticité. « Ce rapide bilan ne doit pas faire conclure au fait que le merlot est à écarter. Il reste intéressant dans des terroirs adaptés sur des sols profonds et/ou sous réserve d'un soutien par l'irrigation pour faire face à des déficits pluviométriques excessifs. »

« Logiquement, la question des apports d’eau se pose désormais à Bordeaux, constate Pascal Hénot. Contrairement aux vignobles méditerranéens et étrangers, le bordelais n’est pas équipé en système d’irrigation. Réglementairement et socialement la mise en œuvre ne sera pas aisée, mais on peut imaginer que sur de grands terroirs historiques à merlot, sur lesquels les entreprises ont les moyens financiers, on voit se développer dans les années à venir des systèmes de goutte-à-goutte. »

Le merlot n’a pas dit son dernier mot !

 

Viticulture

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15