Rosés sans sulfites : rigueur chirurgicale obligatoire

Cuve inox

Les rosés sans sulfites sont encore peu nombreux sur le marché. Il s’agit pour l’instant d’une niche, accessible grâce à un savoir-faire plus spécifique pour éviter toute oxydation.

Crédit photo Cedric Arnaud, Villa Noria.
Les rosés sans sulfites sont encore peu nombreux sur le marché. Il s’agit pour l’instant d’une niche, accessible grâce à un savoir-faire plus spécifique pour éviter toute oxydation. Chaque étape de l’élaboration a ses particularités. Deux domaines témoignent de leur expérience en la matière.

Serions-nous entrés dans la civilisation du « sans » ? Sans sucre, sans lactose, sans gluten, sans matière grasse, sans sel... Côté vin, c’est le sans soufre qui prend des allures de mode.

Plusieurs cuvées en rouge ont désormais leurs aficionados, donnant des repères à des potentiels vinificateurs pour ce type de vin. En revanche, les producteurs de rosés sans sulfites sont moins nombreux. Sans les tanins, qui donnent une protection contre l’oxydation, l’exercice est encore plus difficile, mais pas impossible : les rosés de deux domaines dans le Sud le prouvent.

Sélection parcellaire précise

Ludovic Vançon, directeur et œnologue du domaine d'Eole. Photo : domaine d'Eole - Ludovic Vançon
Ludovic Vançon, directeur et œnologue du domaine d'Eole.
Crédit photo : Domaine d'Eole - Ludovic Vanon

Pour Ludovic Vançon, directeur du domaine d’Eole dans les Alpilles, tout commence par une sélection parcellaire précise. Le vin est élaboré grâce à un assemblage de trois cépages : grenache, carignan et 25 % de counoise, un cépage accessoire du Sud. « Ce sont des variétés tardives qui gardent bien leur acidité, sinon les rosés sont trop mous. Nous recherchons de la fraîcheur ainsi qu’un équilibre potentiel pour un déroulement de la fermentation malolactique (FML) dans de bonnes conditions », explique-t-il.

Fabien Gross, cogérant du domaine Villa Noria, présente son rosé sans sulfite « Basic Instinct ». Photo : Cedric Arnaud, Villa Noria.
Fabien Gross, cogérant du domaine Villa Noria, présente son rosé sans sulfite « Basic Instinct ».
Crédit photo : Cedric Arnaud, Villa Noria.

 

Pour Fabien Gross, œnologue et gérant du domaine Villa Noria à Montagnac (Hérault), le cinsault et le grenache gris sont choisis pour les mêmes raisons. Il va même plus loin : « La clé pour réussir un rosé sans sulfites, c’est l’acidité. Pour la fraîcheur, nous bénéficions de l’influence marine et nous récoltons à 11°5, de nuit. Nous considérons un pH de 3,3 comme optimum à ce stade. » Il va sans dire qu’un état sanitaire irréprochable est le corollaire à l’élaboration d’un vin sans sulfites, et ce, quelle que soit sa couleur.

Garder la fraîcheur

L’étape du pressurage possède aussi ses contraintes propres. Le process est déjà délicat sur rosés pour obtenir un équilibre de la couleur, mais s’ajoute la gestion de l’oxydation. Au domaine d’Eole, Ludovic Vançon a mis au point un chapeau qu’il place en lieu et place de la porte du pressoir et qui permet d’inerter l’intérieur à l’azote. « Mais nous nous sommes rendu compte qu’en inertant trop, on obtenait un caractère réductif », indique-t-il. À ce moment, les raisins sont encore chargés au niveau phénolique, et la surprotection nuit à la stabilité oxydative.

Le constat est identique pour Fabien Gross : « Pour ne pas avoir d’effet boomerang, nous préférons protéger modérément au pressurage, puis une stabulation à basse température en sortie de pressoir entre 2 °C et 5 °C, à partir de laquelle nous gérons l’oxygène dissous », indique-t-il. Ce passage est d’autant plus important que le SO2, qui favorise la macération et l’extraction des composés phénoliques, est absent.

Dans tous les cas, un système d’inertage à l’azote est indispensable, depuis cette stabulation jusqu’à la mise en bouteilles. « L’azote permet d’évacuer l’oxygène qu’on prend lors des transferts ou de la filtration. Il faut buller tout doucement. Mais l’inconvénient est qu’il chasse aussi le CO2 dissous qui apporte de la fraîcheur. Il faut parvenir à rester en dessous de 0,3 mg/l d’O2 dissous, tout en gardant jusqu’à 1 100 mg/l de CO2 lors de la mise en bouteilles », explique Fabien Gross.

Les amphores accueillent le rosé et la porosité relative du contenant permet une micro-oxygénation. Photo : domaine d'Eole - Ludovic Vançon
Les amphores accueillent le rosé et la porosité relative du contenant permet une micro-oxygénation.
Crédit photo : Domaine d'Eole - Ludovic Vanon

Sécuriser la FML

Ensuite, les deux domaines conseillent de réaliser la fermentation malolactique en même temps que l’alcoolique. Ainsi, Ludovic Vançon témoigne : « La première année, en 2018, nous avons laissé faire les choses naturellement. Mais c’est trop dangereux, nous nous sommes fait peur. Nous utilisons désormais des bactéries sélectionnées qu’on introduit à 1070, dès la fermentation alcoolique lancée. » Au domaine Villa Noria, le vin sans sulfites les a obligés à changer le profil du vin : ils ne « faisaient pas la malo » auparavant. Le blocage par le SO2 n’étant plus possible, celle-ci devient incontournable pour qu’elle ne se déclenche pas une fois le vin mis en bouteilles.

La période d’élevage est nécessairement courte et toujours à l’abri de l’air. Les deux domaines pratiquent l’élevage sur lies. Comme l’indique Sébastien Pardaillé, œnologue conseil au Laboratoire Natoli et associés : « L’élevage sur lies va donner de la chair au vin et aussi le rééquilibrer si l’acidité est importante. » Ce qui est cohérent avec les cépages utilisés pour ces rosés. « En outre, le bâtonnage des lies permettra d’enrichir le vin rosé en arômes. Enfin, il est possible de procéder à un élevage sur lies en “statique”, c’est-à-dire sans bâtonnage. Cela permet de rester dans un milieu réducteur quand on travaille des cépages oxydatifs » ou, comme le cas pour la Villa Noria qui ne cherche pas d’arômes fermentaires issus des bourbes, pour compenser l’absence de protection par le SO2.

Et, de surcroît, Ludovic Vançon travaille sur les contenants, utilisant à la fois des œufs en béton et des amphores en terre dans lesquelles il pratique le bâtonnage, ce qui représente un gros travail. « Les amphores apportent une micro-oxygénation, puis nous équilibrons la concentration en oxygène en assemblant les volumes de chacun des contenants pour un résultat équilibré », explique-t-il.

La forme en œuf des cuves favorise un brassage naturel des lies fines en accentuant les mouvements de convection (mouvements browniens). Photo : domaine d'Eole - Ludovic Vançon
La forme en œuf des cuves favorise un brassage naturel des lies fines en accentuant les mouvements de convection (mouvements browniens).
Crédit photo : Domaine d'Eole - Ludovic Vanon

L’embouteillage, point critique

Pour la mise en bouteilles enfin, les œnologues préconisent un filtrage stérile : le peu de sucres résiduels et quelques bactéries peuvent faire tout basculer. L’inertage, là encore, doit être soigné, « quitte à être limite réducteur au moment de la mise pour la stabilité des vins », confie Fabien Gross. Il préconise aussi d’embouteiller le plus tôt possible, dès novembre-décembre, afin de garder l’aspect fraîcheur et de s’assurer une meilleure conservation du vin. Il est possible de faire appel à un prestataire, mais celui-ci doit être équipé en conséquence, avec un système d’inertage. L’obturation sera prévue le plus étanche possible : les bouchons techniques ou les capsules à vis seront préférés au liège, plus cher et mal adapté à ce type de produit.

Pour finir, les deux œnologues recommandent d’être très bien équipé en froid, d'avoir une hygiène irréprochable dans un chai moderne et de commencer par de petites quantités sans avoir trop peur. Ludovic Vançon conclut ainsi : « C’est pire de trop protéger que pas assez, et il faut rester proche de ses habitudes en cave. S’en éloigner, c’est la meilleure façon de rater sa cuvée. » Plus facile à dire qu’à faire, et aussi plus cher, au vu des heures de travail que ce type de vins nécessite.

Un rosé sans sulfites : pour qui ? Pourquoi ?

Au domaine d’Eole, il s’agissait au départ de remplacer un rosé boisé, un peu vieillot, qui ne trouvait plus son public. Ludovic Vançon a proposé cette orientation dès son arrivée au domaine en 2018. Dans ce domaine bio depuis 1996, positionné haut de gamme, le rosé sans SO2 représente une niche avec 20 hl seulement, mais il est cohérent dans la gamme. Le vin s’adresse à une clientèle de particuliers curieux et de cavistes spécialisés dans les vins nature.
La donne est un peu différente au domaine Villa Noria : exportateur avec 150 000 bouteilles, le vin sans sulfites est une porte d’entrée nécessaire pour avoir mention « organic » dans le marché américain. Les autres pays clients d’Europe du Nord sont également très sensibles à cette distinction et ils sont positionnés auprès des amateurs de vins nature, voire végan.

Fabien Gross est confiant sur l’avenir de ces vins sans sulfites : « C’est une tendance de fond, les gens sont de plus attentifs à ce qui compose leur alimentation. Hélas, trop souvent, nous avons vu des vins nature à défauts, produits par des gens mal équipés, et cela sème le doute chez le consommateur. »

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