On se régale de « ses pages »

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De tous temps, le vin a inspiré les écrivains. Du vin personnifié au Moyen Âge au vin réconfort au XVIIe, jusqu’au vin réaliste au XIXe, la littérature regorge de textes qui font l’éloge du vin. Aujourd’hui encore, l’alliance du vin et de la littérature continue à être célébrée.

Si on ne présente plus les écrits de Colette et de Baudelaire sur le vin, les écrivains ayant eu le vin pour compagnon ou pour sujet sont bien plus nombreux. « Parmi tous les produits comestibles, le vin est à part », souligne Sophie Guermès, professeure de littérature à l’université de Brest. Pourquoi tant d’écrits sur un liquide avant tout destiné à être bu et non à être dit ? S’est-elle interrogée lors d’une conférence à la Cité des vins et des civilisations de Bordeaux.

Une des réponses réside, selon elle, dans la nature du vin, à la confluence entre nature et culture : c’est parce qu’il est capable de susciter un débat esthétique que le vin a tant inspiré. « Le vin est à mi-chemin entre l’œuvre d’art et l’être vivant », écrit Mario Soldati, un écrivain et réalisateur italien du XXe siècle. Le vin suscite des émotions qui peuvent être liées avec les lieux et les moments de dégustation. Ce sont toutes ces émotions dont les artistes ont rendu compte.

Des témoignages historiques
Zola, qui se documentait beaucoup avant d’écrire ses romans, constate qu’il existe une production de vin dans la Beauce. Plutôt pour l’autoconsommation.
Stendhal évoque les pratiques des courtiers du Médoc : « Ils goûtent les vins des propriétaires et, avec de la craie, marquent la qualité sur les futailles. […] Malheur au propriétaire qui effacerait la marque à la craie du courtier ! Aucun courtier ne se chargerait de faire vendre son vin. »

Le vin rend joyeux

Le vin est aussi mystérieux : avant la naissance de l’œnologie, la transformation du jus de raisin en vin avait de quoi titiller l’imaginaire et fasciner celui-ci, jusqu’à l’associer à la sphère spirituelle. D’où le succès de la rime « vin/divin » employée par Gérard de Nerval, Théodore de Banville…

Autre facteur explicatif : la présence d’alcool, qui modifie le comportement. En buvant, l’homme forme avec le vin une troisième personne, un homme supérieur, écrivait Baudelaire (« Du vin et du haschisch », Les paradis artificiels, 1860). Le vin rend joyeux et facilite les relations, à condition de le consommer avec modération. Dans le cas contraire, il peut rendre agressif et interdire la vie sociale. Dans la littérature, les excès ont souvent été tournés en ridicule, avec des portraits d’ivrognes. Mais l’ivresse peut aussi être magnifiée, comme chez Apollinaire, qui décrit une ivresse quasi cosmique : « Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers » (« Vendémiaire », Alcools, 1913).

Morceaux choisis
• « Je dis que non rire mais boire est le propre de l’homme […] boire vin bon et frais. » (Cinquième livre, Rabelais)
• « Dépêchons-nous de boire, on ne boit pas toujours. » (Molière)
• « La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la saveur de la terre. » (Colette)
• « Messieurs, le bonheur existe, je viens de le rencontrer. » (Camadule après avoir goûté un clos-vougeot, dans Le Beaujolais nouveau est arrivé de René Fallet)

Le débat du vin et de l’eau

Le vin apparaît dans la littérature française au XIIIe siècle, souvent personnifié. Henri d’Andeli donne la parole à des vins de différentes provenances dans le poème La bataille des vins. Chacun expose ses qualités. Le roi anoblit les meilleurs. Cette œuvre témoigne de la réalité du vignoble de l’époque. Par exemple, les vins de La Rochelle et de Saint-Jean-d’Angély sont abondants et réputés.

Une autre joute oratoire nous est parvenue depuis le XVe siècle : Le débat du vin et l’eau, par Pierre Jamec, où les deux liquides se déclarent la guerre. Beaucoup de textes et de poèmes traitent de la mythologie, de scènes de vendanges, de cabaret… Des thèmes apparaissent, qui seront repris par la suite : le plaisir que procure le vin, l’ivresse qui rend heureux, mais aussi la critique du vin frelaté.

Pour aller plus loin
Le vin et l’encre : la littérature française et le vin du XIIIe au XXe siècle, par Sophie Guermès, 1997, éditions Mollat.
Les écrivains du vin, par Marc Lagrange, 2017, éditions l’Archipel.

Le vin mondain ou populaire

« Au XVIe siècle, le vin fait une entrée fracassante dans le roman », explique Sophie Guermès, avec une omniprésence dans les cinq romans de Rabelais, tout entiers tendus vers la quête de la dive bouteille. Au XVIIsiècle, avec les progrès de la science, l’homme passe d’un monde clos à un univers infini. Le vin apparaît comme un réconfort dans un monde changeant, voire violent. « La fortune a ses injustices, la raison trop d’austérité […], Bacchus exerce sur nous le seul empire qui soit doux », résume le poète La Fare. Le vin devient plus mondain au XVIIIe dans les soupers. Mais ce siècle voit aussi se manifester une sensibilité à la nature, voire une communion, que l’on peut retrouver chez Jean-Jacques Rousseau dans Julie, ou la Nouvelle Héloïse (1761) et sa scène de vendanges.

Aux siècles suivants, l’éloge du vin continue, mais acquiert une dimension réaliste, voire documentaire, avec Zola ou Baudelaire. Le vin devient un réservoir de métaphores avec Victor Hugo. Au XXe siècle, le vin est évoqué dans sa dimension sacrée chez Paul Claudel ou Charles Péguy, sous son aspect plus populaire et humoristique chez René Fallet ou Alphonse Boudard. « Le vin a partie liée avec ce que chacun de nous possède de plus secret, vital et difficilement communicable. C’est sans doute pour cela qu’on a tant écrit sur lui et qu’on écrira encore sans doute beaucoup », conclut Sophie Guermès.

Article paru dans Viti Les Enjeux 32 de mai 2020

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