Comment rallonger la durée de vie des fûts

La méthode de rénovation à base d'ozone mise au point par la Tonnellerie de l'Entre-deux-Mers permet de faire durer les barriques pendant vingt ans. Photos : Fanny Laison

Pour des raisons économiques, mais aussi écologiques, il apparaît de plus en plus nécessaire d’allonger la durée de vie des fûts. Location, rénovation ou alternatives aux barriques, il existe différentes solutions pour essayer de réduire ses coûts d’élevage. 

Entre 800 € et 900 €. C’est aujourd’hui ce qu’il faut débourser pour acheter un fût de 225 litres. Soit une augmentation de 10 à 12 % selon la Fédération des tonneliers de France. En cause, « l’augmentation considérable du prix du bois que nous sommes obligés de répercuter, explique Frédéric Rousseau, de la Tonnellerie Rousseau en Bourgogne. En deux ans, on a quasiment pris 20 % et on s’attend encore à une hausse de 8-10 % ». À cette tendance qui devrait se poursuivre dans les années à venir, plusieurs explications. D’un côté, une demande internationale accrue qui ne peut plus autant se fournir auprès des États-Unis, de la Russie et de l’Ukraine, et qui se tourne vers la production hexagonale. Or, les tonneliers français se fournissent quasi exclusivement auprès des forêts françaises. La filière déplore également l’accord « Chêne » passé entre l’ONF et les industriels transformateurs (lire par ailleurs).

« On est conscients que le prix de vente du produit fini va bouger encore assez fort et qu’à un moment, des clients vont peut-être décrocher ou réfléchir à étendre la durée de vie du produit », reconnaît Frédéric Rousseau. En outre, les enjeux environnementaux amènent à s'interroger sur le fait d’utiliser durant trois à cinq ans un bois issu de chênes centenaires. Puis de le transformer en jardinières, en copeaux pour le barbecue, en meubles, ou tout simplement en bois de chauffage. « Les chênes qui servent à fabriquer les barriques captent énormément de CO2, souligne François Gros, directeur général adjoint de H&A Location. Certes on replante, mais en matière d’impact environnemental, une forêt avec des chênes qui font 20 cm, ce n’est pas la même chose qu’un chêne qui a 300 ans. »

Redonner de la valeur aux barriques 

Créée en 2004, la société H&A Location applique aux barriques le même modèle de location que pour le matériel informatique, secteur dont sont d’ailleurs issus les deux fondateurs, Florent Arrouy et Richard Hardillier. Les domaines qui y ont recours choisissent les tonneliers avec lesquels ils souhaitent travailler, négocient les prix, puis H&A règle la facture – elle est donc propriétaire des barriques – et établit un contrat de location. Le loyer est calculé à partir de plusieurs paramètres : le prix de la barrique, sa durée d’utilisation, sa valeur de reprise et sa valorisation une fois que le domaine n'en a plus besoin. H&A reprend alors le fût et le loue à des utilisateurs successifs qui peuvent être d’autres domaines viticoles, des producteurs de vins fortifiés ou encore des distilleries. « Le client d’origine bénéficie du fait que nous la fassions vivre pendant vingt ans à travers un, deux, trois, quatre, voire cinq cycles d’utilisation, car nous lui rétrocédons une partie de la valeur créée », indique François Gros.

H&A Location gère un parc de 900 000 barriques à travers le monde. L'entreprise a financé l'achat de 200 000 barriques en 2023. Photo : H&A Location

La société assure ainsi apporter « une performance économique » à ses clients, mais elle ne communique pas pour autant sur les économies que les vignerons peuvent réaliser en recourant à ses services. « Nous avons une capacité infinie à faire des montages, justifie son directeur général adjoint. Si un client utilise une barrique pendant 24 mois ou 10 ans, la charge d’intérêt n’est pas la même. De même, la valeur de reprise dépend de l’usage. S’il l’utilise pendant un an ou cinq ans, si c’est du blanc ou du rouge, du sec ou du liquoreux, ce n’est pas la même chose. On a des clients qui au final ne vont payer que 20 % de la barrique, tandis que d’autres vont payer plus parce qu’ils vont l’utiliser très longtemps. » Dans le cas de Lucas Leclercq, faire appel à H&A lui coûte « un peu plus cher que si on finançait nous-mêmes nos barriques ». Mais le directeur général du château d’Agassac et du château Fourcas Dupré dans le Médoc – 200 barriques à eux deux – estime que les services de facturation et de reprise offerts par l’entreprise valent ce léger surcoût. « On est concentrés sur le fait de faire du vin et de le vendre, c’est donc plutôt agréable de ne pas avoir à s’occuper de tout ce qui est financement, facturation et revente. C’est du travail en moins », apprécie-t-il.

Des barriques rénovées durant vingt ans 

L’occasion et la rénovation sont d’autres pistes à explorer pour tenter de réduire le coût des fûts. En Gironde, la Tonnellerie de l’Entre-deux-Mers a développé une technique de « régénération » basée sur l’utilisation de vapeur d’eau et d’ozone. D’une durée d’environ 45 minutes, elle se passe de rabotage. « L’ozone est un gaz oxydant qui permet à la fois d’attaquer l’anthocyane et le soufre résiduel, et de désinfecter la barrique en profondeur », explique Thibault Desages, le gérant de la tonnellerie. Selon lui, cette méthode, qu’il a fait breveter en 2020, permet de rétablir la micro-oxygénation « comme si c’était une barrique neuve ». Les fûts passés entre ses mains peuvent ainsi être utilisés durant vingt ans, à raison d’un traitement tous les deux ans.

L'intérieur des barriques est d'abord passé à la vapeur d'eau.

Puis de l'ozone est envoyé à l'intérieur des barriques. Ce gaz désagrège l'anthocyane et le soufre résiduel. La barrique est ainsi nettoyée en profondeur.

Bien sûr, les contenants n’ont plus le boisé de leurs premières années, mais ils peuvent en retrouver une partie grâce à une rechauffe par infrarouge. « On ne fait pas de miracle sur les tanins, on n’a pas du tout le même profil qu’une barrique neuve, prévient Thibault Desages. Mais on arrive à récupérer la famille aromatique. » Client de la tonnellerie et gérant du château du Garde, Jean-Benoît Subra confirme : « Ce n’est pas un boisé trop présent comme sur un médoc ou un saint-émilion, mais ça permet d’atténuer le côté astringent sur le rouge et d’apporter du gras et du volume sur les blancs. » Côté prix, la rénovation seule d’une barrique de 225 litres coûte 100 €. 150 € si elle est passée aux rayons infrarouges de la rechauffe. Pour un achat, compter 190 € dans le premier cas et 240 € dans le second. 

Thibault Desages, gérant de la Tonnellerie de l'Entre-deux-Mers.

Pourquoi pas le foudre ?  

Si l’utilisation de fûts n’a pas pour but de boiser le vin, mais surtout de l’oxygéner, Frédéric Rousseau conseille carrément de se tourner vers un foudre. Un investissement certes bien plus onéreux, mais qui au bout du compte revient moins cher qu’un fût. « Si vous utilisez pendant cinq ans une barrique de 228 litres à 800 €, vous arrivez à un coût d’élevage de 0,53 € par bouteille, expose-t-il. Mais si vous passez sur un foudre de 35 hectolitres à 18 500 € et que vous l’utilisez dix ans, vous obtenez un coût d’élevage de 41 centimes par bouteille. C’est 20 % de moins en passant du fût au foudre. Et encore, j’ai fait le calcul sur dix ans. Mais un foudre bien entretenu peut s’utiliser jusqu’à 40 ans. »

Entre l’impératif économique et la tendance à un boisé de plus en plus fondu, Frédéric Rousseau constate un intérêt grandissant pour ces tonneaux XXXL, en France comme à l’étranger. Enfin, il reste aussi la possibilité d’utiliser moins de fûts et de se tourner vers des alternatives. « On a toujours besoin des barriques, mais on a tendance à en utiliser un peu moins du fait du marché et de l’évolution des goûts, reconnaît Lucas Leclercq. Les amphores sont intéressantes. On peut aussi tout simplement laisser en cuve. »

 

L’approvisionnement en chêne inquiète toujours les tonneliers et les mérandiers
Tout au long de l’année 2023, les tonneliers et les mérandiers ont multiplié les alertes concernant l’approvisionnement en chêne. La dernière en date, remontant à septembre, déplorait à nouveau que le syndicat et la fédération n’aient pas été associés aux négociations qui ont abouti à la prolongation de l’accord « Chêne » passé entre l’ONF et les industriels transformateurs. Les tonneliers et les mérandiers estiment que ces nouvelles pratiques commerciales les privent de la « qualité merrain », ce qui crée des tensions tarifaires. « D’ici deux ou trois ans, il est à craindre que le prix du chêne ne permettra plus à une partie (de nos clients) d’élever leur vin sous bois neuf », mettaient-ils en garde dans un communiqué. 

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