Démarche collective : deux vignobles du bordelais s’équipent face à la grêle

Dans le Bordelais, deux appellations ont choisi de s’équiper d’outils collectifs contre la grêle avec la technologie des sels hygroscopiques de Selerys. Pour le climatologue Jean-François Berthoumieu, cette solution est la seule capable d’accroître le rendement de précipitation des orages sous forme de pluie plutôt que de grêle.

« Si l’iodure d’argent permet d’accroître les précipitations de neige, il ne réduit pas le risque de grêle ni la taille des grêlons, et ne favorise pas la pluie », avance avec certitude Jean-François Berthoumieu. Le climatologue de 68 ans, directeur de l'Association climatologique de la moyenne Garonne et du Sud-Ouest (ACMG), intervient désormais comme consultant auprès de divers organismes, notamment le Conseil des vins de Saint-Émilion qui a choisi dernièrement la solution de l’entreprise Selerys pour se protéger de la grêle.

« J’ai travaillé lors de mon post-doc au Canada sur la lutte contre la grêle avec l’iodure d’argent, et précédemment dans le Lot-et-Garonne avec de l’ensemencement par avion. Mais dès 1984, en étudiant à l’aide d’un radar 5 cm de Météo France la formation d’orages de grêle sans ensemencement, j’ai compris que tout ce que l’on m’avait expliqué sur l’iodure d’argent ne fonctionnait pas sur la grêle, souligne-t-il. Nous avons en effet observé que seuls 8 % des orages produisent de la grêle de mai à septembre, en se formant à une altitude élevée, et que la probabilité que l’iodure d’argent puisse avoir un effet était extrêmement faible. Avec 92 % des orages qui ne donnent pas de grêle, il reste facile de faire croire que des solutions d’ensemencement ont un effet. Certains continuent donc d’investir dans cette technologie, pour des raisons psychologiques plus que scientifiques. De plus, un ensemencement à l’iodure d’argent lancé du sol a encore moins de chance d’arriver au bon endroit que par avion pour espérer former de petits grêlons. »

Sels hygroscopiques

Se basant sur les travaux réalisés par l’ACMG, les adhérents du Conseil des vins de Saint-Émilion ont voté début 2021 pour investir dans un outil collectif de lutte contre la grêle, en optant pour la technologie Skydetect de Selerys, indique Franck Binard, directeur du Conseil des vins. « Le système a été adopté fin janvier 2021 et 37 postes de tir ont été installés pour couvrir 7 500 hectares sur les AOC lussac saint-émilion, puisseguin saint-émilion, saint-émilion et saint-émilion grand cru. » En cas d’alerte, des ballons biodégradables gonflés à l’hélium sur lesquels sont embarquées des torches chargées de sels hygroscopiques sont lâchés dans les cellules orageuses potentiellement porteuses de grêle. Un radar placé au centre de l’appellation détecte les cellules orageuses dans un rayon de 60 km. Des vignerons bénévoles activent les tirs.

Une contribution volontaire a été votée, avec un niveau qui varie selon l’appellation et donc la valorisation des vins (40 à 200 euros/ha), afin de couvrir le budget d’investissement initial et les frais annuels de fonctionnement. « L’expérimentation est engagée pour 7 ans. La technologie ne garantit pas zéro risque, mais nous espérons une baisse de 60 à 70 % du risque de chute de grêle sur les zones protégées », avance Franck Binard. Avec deux ans de recul, l’aire d’appellation n’a pas été grêlée alors que d’autres vignobles voisins ont été touchés, ce qui donne un premier point positif sans pour autant valider la technologie, reconnaît le responsable.Dans le Médoc, l’appellation saint-estèphe, qui avait été fortement touchée par un épisode de grêle le 20 juin 2022 (dégâts allant de 30 à 80%), a voté lors de sa dernière AG début 2023 pour un système de lutte anti-grêle. Là aussi, la solution Selerys a été choisie. Un réseau de sept lanceurs disséminés sur la totalité de l’appellation couvre 1 180 ha et 61 châteaux. Grâce à une plateforme contenant un outil d’évaluation des risques de grêle, les nuages dangereux seront identifiés. Alertés par SMS, courriels ou messages vocaux, les viticulteurs pourront suivre le déplacement en temps réel des cellules orageuses répertoriées sur trois niveaux d’alertes. Ce système doit être déployé à partir d’avril 2023.

Principe : de la pluie plutôt que la grêle
Le climatologue Jean-François Berthoumieu se penche dès 1993 sur l’intérêt des sels hygroscopiques avec du chlorure de calcium, particulièrement travaillés en Afrique du Sud et aujourd’hui aux Émirats arabes unis pour accroître les précipitations de pluie. Les gros noyaux de condensation accélèrent la formation de la pluie, qui commence à précipiter avant de monter en altitude pour être transformée en grêle. « Nous avons pu étudier et observer en situation réelle par radar l’effet de sels hygroscopiques sur l’évolution de nombreux orages, dont certains donnaient de la grêle avant le traitement par avion. Nous avons assez souvent observé une baisse moyenne de plus de 1000 m de la zone source de haute réflectivité, ce qui était notre objectif. Cependant, nous n’avons pas pu observer suffisamment de cas pour affirmer statistiquement et de manière irréprochable que cette solution fonctionne, même si j’y crois. »

Alternatives : des adaptations du vignoble face aux accidents climatiques
Aujourd’hui, pour poursuivre ses travaux en faveur des producteurs, Jean-François Berthoumieu s’implique sur des solutions de « lutte passive », avec des adaptations des cultures face au réchauffement climatique, et soutient les infrastructures en faveur de l’eau verte. « Cette eau verte, qui résulte de l’évapotranspiration des cultures et des points d’eau, favorise ensuite les cycles de précipitations. Mettre des haies autour de parcelles de 3-4 ha, en les irriguant les premières années et les années de sécheresse pour favoriser leur croissance rapide, développer les couverts végétaux notamment dans les vignes ou encore creuser des mares jusqu’à 10 000 m3, va dans le sens de maximiser l’eau verte, indispensable pour générer de la pluie et certainement moins de grêle. Sans oublier qu’un vignoble enherbé limite les problèmes d’érosion, et les haies peuvent limiter l’apport d’air froid au niveau des bourgeons de la vigne et des pommiers. Ainsi, au bout de 5 ans, la biomasse accrue aide à évapotranspirer, ce qui attire davantage la pluie et devrait repousser la grêle en faisant diminuer l’amplitude thermique journalière de quelques degrés », insiste-t-il, précisant qu’un sol végétalisé humide a une température de 6 à 12°C inférieure à un sol nu lors d’une canicule.

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