Comment cinq régions viticoles ont mis en place des réserves interprofessionnelles

Depuis l’an dernier, plusieurs régions viticoles ont mis en place des réserves interprofessionnelles. Chacune avec des modalités particulières. L’objectif général demeure pourtant similaire : contribuer à la stabilité des marchés sur le long terme. Exemples non exhaustifs.

Mise en réserve : de quel droit ?
La mise en réserve relève d’une compétence de l’État et peut prendre la forme d’un blocage collectif de volumes de vin, décidé par une interprofession. La mise en réserve fait partie des mesures de régulation des marchés les plus anciennes prévues par la réglementation européenne (règlement OCM). Ces volumes de vin ne peuvent pas sortir des chais des opérateurs avant la date de libération individuelle ou collective fixée par l’interprofession (article D-644-5 du Code rural). L’inconvénient principal de la mise en réserve est que ces quantités ont vocation à retourner sur le marché à plus ou moins long terme. Elles peuvent donc théoriquement continuer à peser sur le marché. Toutefois, des solutions sont possibles pour éviter ce point négatif (lire pages suivantes).

 

Une deuxième mise en réserve pour le touraine blanc

L’idée de mettre en place une réserve interprofessionnelle en Touraine date de 2020 : après deux grosses récoltes en 2018 et 2019, les cours du vrac avaient chuté. Les viticulteurs ont proposé aux négociants d’utiliser un outil de régulation des mises en marché du touraine blanc, produit phare de la région. Avec l’objectif final de stabiliser les cours, de manière à ce qu’ils soient rémunérateurs pour les producteurs.

Une décision interprofessionnelle a donc été prise pour mettre en réserve les quantités produites au-dessus de 50 hl/ha. Avec un succès relatif. « La mise en réserve a donné un coup d’arrêt à la baisse des prix », indique Marie Refalo, directrice de l’ODG Touraine. La surproduction a été résorbée suite au gel de 2021, après lequel la réserve a été libérée. « Avec ce premier essai, tout le monde a compris l’intérêt de réguler le marché », résume-t-elle.

En 2022, une deuxième mise en réserve a été votée, avec un mécanisme légèrement différent : cette année, tous les producteurs doivent mettre en réserve 8 % de la récolte de touraine blanc, exception faite des petits producteurs (qui auraient moins de 20 hl à stocker) et ceux dont la récolte a été diminuée par la grêle. « Nous aurions pu nous en passer, indique la directrice, mais nous souhaitons que les esprits s’accoutument à cet outil. Que cela devienne normal d’avoir une réserve, comme dans d’autres régions. Actuellement, les stocks sont bas, le marché est là. Ces volumes seront vite débloqués », prévoit-elle. Pour la Touraine, la réserve est un outil parmi d’autres pour atteindre l’objectif principal de valorisation des vins, tels que le travail sur la qualité, la promotion, etc.

« Le mécanisme de la réserve est vertueux, car il oblige chacun à se projeter dans le futur de l’appellation. Il crée du lien entre les producteurs et les négociants », estime Marie Refalo.

 

Alsace : un galop d’essai avec le pinot gris

En Alsace, les discussions autour de la mise en place d’une réserve interprofessionnelle viennent de se concrétiser. L’État a validé le système alsacien l’automne dernier. À peine validée, la réserve va être utilisée. Pour la première fois cette année, une partie de la production de pinot gris va être mise en réserve, à savoir, tous les volumes produits au-dessus de 56 hl/ha, jusqu’au rendement autorisé (70 hl/ha), soit 20 % maximum de la production. Les producteurs qui n’ont pas atteint 56 hl/ha pour ce cépage ne seront donc pas tenus de mettre des volumes en réserve.

Si le système choisi est propre à l’Alsace, dans l’esprit, l’idée est toujours la même : faire en sorte que les niveaux de disponibilités en vins demeurent dans des fourchettes cohérentes par rapport à la demande globale, tous marchés confondus. En pratique, le Civa (Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace) a défini des stocks minimum et maximum pour différents cépages : riesling, gewürztraminer, pinot gris. Si le stock maximal est dépassé (risque de mévente) ou si le stock plancher est atteint (risque de pénurie), l’interprofession décide de l’excédent à bloquer ou des volumes à libérer.

Pour le millésime 2022, la décision de bloquer une partie du pinot gris a été prise lorsque les estimations de rendement et les stocks ont été connus. Tous les mois, l’interprofession va suivre les indicateurs grâce aux DRM (déclarations mensuelles de récolte) et décider de libérer tout ou partie des volumes ou de les conserver en réserve.

Que se passera-t-il si les vins n’ont pas été libérés à la prochaine récolte ? Pour l’instant, la réserve n’est pas pluriannuelle. « Les vins d’Alsace sont sur une belle dynamique depuis deux ans. Nous enregistrons des croissances à deux chiffres. Nous sommes confiants sur le fait que ces volumes vont être libérés dans l’année », indique Gilles Neusch, le directeur du Civa. Toutefois, la réflexion sera poursuivie au printemps.

 

Premier test pour le volume régulateur à Bordeaux

Assurance récolte et régulateur de marché : telles sont les deux missions que le volume régulateur doit remplir pour les bordeaux et bordeaux supérieurs rouges. Réfléchi après quelques années de petites récoltes et de yoyo des cours, sa mise en place pour la récolte 2022 se déroule alors qu’une crise économique frappe la région. Comment s’articule cette mesure avec la conjoncture ? « Il faut voir le volume régulateur comme un outil de moyen et long terme qui vise à réduire les à-coups climatiques et leurs conséquences sur les cours du vrac. Pour résoudre le phénomène de surproduction ponctuel lié à la fermeture prolongée de la Chine et à la baisse du pouvoir d’achat en France, nous demandons un arrachage aidé », explique Stéphanie Sinoquet, directrice de l’ODG. Les deux mesures n’ont donc pas la même temporalité. Le conseil d’administration de l’ODG a donc souhaité maintenir le test de ce nouveau système, présenté comme un « VCI amélioré ».

Par rapport au VCI, le volume régulateur est un système collectif. Son originalité ? Il concerne les vins de l’année seulement, produits dans le rendement autorisé, mais non revendiqués en AOC. « Pour le millésime 2022, l’ODG a fixé un rendement annuel à 60 hl/ha pour les bordeaux rouge. Le CIVB a fixé le volume revendicable à 50 hl/ha en fonction de la visibilité sur les marchés. Ainsi, tout ce que a été produit entre 50 et 60 hl/ha est mis en réserve », indique Corinne Vecchiato, responsable technique de l’ODG.

Le volume régulateur n’est pas de l’AOC, il ne pèse pas sur le marché. C’est le rôle psychologique recherché. Mais il peut être débloqué individuellement, si la récolte de l’an prochain est déficitaire. C’est le côté assurance récolte. Il peut aussi être débloqué collectivement, si les marchés le nécessitent. Le CIVB prend la décision. Libre ensuite aux vignerons de garder ces volumes en réserve ou de les revendiquer en AOC et les commercialiser.

À la fin de l’année, le volume régulateur est soit détruit, soit revendiqué et une partie de la nouvelle récolte est mise en réserve à la place. La réserve n’est donc constituée que du dernier millésime. Pour cette première année, les volumes concernés par la mise en réserve ne sont pas encore connus, mais ils seront sans doute faibles, car le rendement moyen n’atteindra pas 50 hl/ha. « Le volume régulateur a été voté à une large majorité par le conseil d'administration de l'ODG. Si ce système ne fonctionne pas, nous pourrons toujours le faire évoluer », souligne la directrice.

Plus de détails sur le fonctionnement de l’outil sur le site Internet Planete Bordeaux : https://pro.planete-bordeaux.fr/wp-content/uploads/Volume-Regulateur.pdf

 

IGP méditerranée rosé : une régulation de l’offre

VIP2C : derrière ce sigle abstrait, se cache le nouveau système de régulation de l’offre de l’IGP méditerranée, mis en place en un temps record par Intervins Sud-Est pour la campagne en cours. VIP2C signifie volume individuel de production commercialisable certifié.

Avec le VIP2C, un vigneron ou une cave coopérative ne peut pas revendiquer la totalité de son potentiel en IGP méditerranée sur sa déclaration de récolte. Il est limité par sa référence, à savoir son volume commercialisable libre, qui correspond à la moyenne des sorties de chai trois dernières années. Un volume supplémentaire de développement collectif est établi par Intervins Sud-Est. Il au maximum de 15 %. Pour cette année, il a été fixé à 5 %.

Les volumes produits au-delà de cette limite constituent la réserve. Si un opérateur veut utiliser ces volumes pour revendiquer de l’IGP méditerranée, il lui suffit de fournir un numéro de contrat de vente en vrac ou une déclaration de conditionnement. « Ce système évite d’avoir la totalité des vins revendiqués qui pèsent sur le marché, sans bloquer les opérateurs », résume Axelle Fichtner, directrice de la fédération Inter-Med, l’ODG de l’IGP méditerranée.

Pour l’instant, ce système fonctionne sur une seule couleur, le rosé. Les stocks qui n’auront pas été utilisés au 31 décembre 2023 devront être détruit ou déclassés. Environ 650 000 hl d’IGP méditerranée sont commercialisés chaque année. L’IGP a connu une forte croissance : + 54 % des sorties de chais en cinq ans. Il est encore trop tôt pour savoir si des opérateurs vont demander le déblocage des volumes en réserve. Pour l'instant, le marché suit son cours : au 16 décembre 2022, l’enregistrement des contrats de vrac était au même niveau que l’an dernier.

 

Une mise réserve et un plan de relance en vallée du Rhône

En côtes-du-rhône rouge, la récolte est excédentaire par rapport aux ventes de 100 000 hl en moyenne chaque année depuis 2014. La très petite récolte de 2017 a masqué temporairement cette situation. Mais avec le millésime 2022, le déséquilibre apparaît nettement. En cause, les sorties de chais qui s’érodent depuis 2015 : elles ont diminué d’environ 200 000 hl en huit ans. Avec la dernière récolte estimée à 1,155 Mhl de côtes-du-rhône rouge, les projections établissaient un niveau de stock de 21 mois en janvier 2023 si rien n’était fait. Alors que le stock cible est de 15 mois.

Votée en octobre dernier par le syndicat et en novembre par l’interprofession, la mise en réserve doit permettre de passer ce cap. En retirant temporairement du marché 20 % de la récolte 2022, chaque vigneron, coopérative, négociant, participe à l’effort collectif. Les vins ne pourront être libérés qu’après une décision de l’interprofession. La libération collective totale interviendra au plus tard après deux ans de stockage. Des conditions spéciales de libération individuelle sont prévues pour prendre en compte les cas particuliers : perte de récolte supérieure à 20 %, cessation d’activité, déclassement des volumes…

En parallèle, un plan de développement pluriannuel des marchés a été présenté par Inter Rhône. Depuis 20 ans, les volumes vendus par la vallée du Rhône ont décru en moyenne de - 1,9 % chaque année. L’objectif est d’inverser la tendance en passant à + 0,9 %. L’ambition est de retrouver en 2035 les 2,9 Mhl que la région vendait à la fin des années 2010. Pour cela, les rhodaniens misent sur une montée en puissance des vins blancs et rosés, et sur la croissance de l’export. Inter Rhône a indiqué mobiliser ses moyens sur trois marchés prioritaires (USA, Canada et Chine) et deux marchés à défricher (Corée et Singapour).

Plus de détails sur le fonctionnement de l’outil sur le site du Syndicat des côtes du Rhône. 

Vie de l'entreprise

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15