Les vins sardes, les trésors cachés de l’Italie

La Sardaigne est, en plus d'être une destination touristique phare en Europe, un terroir viticole. Deux viticultures s'y côtoient : l'une traditionnelle avec des cépages autochtones menés généralement en cordon, l'autre plus mécanisée avec des cépages aux profils internationaux comme le vermentino. Sur cette île méridionale italienne, le changement climatique est une préoccupation de plus en plus forte. La diversité génétique offerte par les cépages locaux est une piste de réflexion. 

 

Malgré une histoire multimillénaire, une position géographique idéale et une fréquentation touristique importante, les vins sardes semblent pourtant moins connus et moins en vue que ceux de voisins siciliens ou de la métropole italienne. Et, bien que très présente sur l’île, la vigne ne semble pas avoir toujours été une production majeure pour les agriculteurs, à la différence de beaucoup d’autres régions méditerranéennes.

La viticulture sarde s’est bâtie au fil des siècles, sur une multitude de cépages locaux ou importés, comme le nuragus dont même l’origine se perd dans la nuit des temps et reste, pour les spécialistes, très incertaine.

Longtemps cantonnée à une production de rouges très alcoolisés, la Sardaigne semble avoir pris le train de la restructuration qualitative et de l’adaptation aux goûts du consommateur, mais plus tardivement que les autres régions productrices de la zone.

 

Une île au carrefour des influences espagnoles et italiennes

La Sardaigne possède encore aujourd’hui près de 150 variétés autochtones et une grande biodiversité génétique. Son rattachement à la maison de Savoie a facilité l’introduction de nouveaux cépages, mais il ne faut pas oublier que pendant des siècles, la Sardaigne a été gouvernée par l’Aragon et nombre de cépages sont originaires de la péninsule ibérique. Ainsi, par exemple, les bovales sardes et grandes sont des cousins du bobal espagnol. Le carignan connaît aussi un beau succès et le cannonau est une forme locale du grenache espagnol, particulièrement appréciée des vignerons et des consommateurs. Ce dernier représente jusqu’à 90% du vignoble dans certaines zones (à l'est de l’île). Citons également le monica, le giro ou le nasco qui apportent incontestablement une originalité, une identité dans l’offre des producteurs sardes et semblent particulièrement adaptés aux conditions pédoclimatiques de l’île.

La Sardaigne viticole ressemble donc à une sorte de patchwork bigarré, mélange de cépages internationaux au carrefour des péninsules ibérique et italienne et de cépages patrimoniaux endémiques extrêmement anciens et inconnus du consommateur international. Granits et schistes au nord-est, argilo-calcaires au sud-est, zones alluvionnaires et volcaniques à l’ouest, les sols y sont donc très variés. Cette grande variété de terroirs combinée à cette richesse d’encépagement permettent à la Sardaigne de proposer une très grande palette de vins, véritables trésors que tout passionné se doit de découvrir !

Cependant, comme dans d’autres régions du monde, les choix de plantation des vignerons de l’île semblent de plus en plus s’orienter vers des cépages permettant d’assurer succès commercial et rentabilité. Cannonau et vermentino collent parfaitement à ces objectifs. Ces deux cépages s’imposent de fait comme leaders et emblèmes des vins sardes.

(crédit : Stéphane Badet)

Certains vignerons prennent pourtant délibérément le contre-pied et misent sur la différenciation par les cépages locaux séculaires, plus que par les stars internationales. Ils préservent leurs parcelles anciennes, les proposent en cuvée spécifique et vont même parfois plus loin. Ainsi, la Cantina Quartomoro, au nord de Cagliari, vient de planter une parcelle à la fois « conservatoire historique et de biodiversité végétale » et « vitrine touristique » de 54 cépages autochtones.

L’île bénéficie historiquement de conditions climatiques favorables avec un temps chaud et sec durant la période du cycle végétatif renforcé des vents puissants et asséchants. Le producteur est donc peu exposé aux maladies, mais il peut se retrouver en situation de stress hydrique, entraînant arrêts de maturité et blocages de photosynthèse. Le recours à l’irrigation au goutte-à-goutte est de plus en plus systématique pour sécuriser le rendement.

Et, ici comme ailleurs, les vignerons sont préoccupés par les évolutions rapides du climat : des températures élevées (jusqu’à 48° l’été passé) qui provoquent une anticipation des vendanges en aout/début septembre (vendanges avancées de 2 à 3 semaines), mais aussi un stress physiologique constaté sur la plante et une moindre résistance aux maladies, une réduction importante des précipitations, une salinisation des terres proches de la côte ou des changements dans les sens et des vents. Le mistral d’ouest dominant très sec, semble ainsi de plus en plus remplacé par un vent de sud plus humide et donc plus favorable au développement des maladies.

Les vignerons locaux estiment que leurs vins perdent en acidité ces dernières années, rendant certains profils moins équilibrés, mais ils ne semblent pas pour l’instant monter en degré alcoolique comme on peut déjà le constater dans d’autres pays. Les techniciens voient dans cet immense réservoir de cépages locaux, un éventail de solutions pour s’adapter aux bouleversements climatiques en cours.
 

Les trois quarts du vignoble arrachés

Lourdement subventionnée sur la seconde moitié du XXe siècle, la production vitivinicole sarde a dû cependant s’adapter aux nouvelles tendances du marché, en arrachant massivement et en se réorientant vers une production plus qualitative permettant une meilleure valorisation des produits. De fait, la Sardaigne a perdu, depuis les années 1980, les trois quarts de son vignoble, se déclinant et se valorisant désormais sur une quinzaine de DOC et une trentaine d’IGP, dont certaines sont possibles sur l’ensemble du territoire. L’île affiche aussi une DOCG « vermentino di Gallura », niveau supérieur de DOC italiennes, qui sert à la fois de leader et d’exemple de réussite.

Les rendements ont longtemps été très élevés (plus de 100hl/ha), la requalification qualitative a depuis très nettement baissé et ils sont parfois sur certains cépages et dans certaines conditions particulièrement bas (2 000 à 5 000kg/ha). La conduite traditionnelle du vignoble en cordon à un bras, voire en gobelet, laisse de plus en plus place à une conduite en guyot avec un palissage relativement haut pour favoriser la qualité avec une densité de plantation assez faible. Les plaines de la partie ouest de l’île favorisent un paysage viticole plus classique avec des parcelles plus grandes et plus facilement travaillables.    

À l’inverse, dans la partie est de l’île, le paysage rural reste encore très représentatif de l’agriculture séculaire. Les parcelles y sont généralement de taille modeste, dans des zones relativement protégées du vent et du soleil, parfois en altitude et souvent entourées d’arbres (oliviers ou autres). L’agroforesterie traditionnelle méditerranéenne est encore très présente sur cette portion de la Sardaigne, avec des alternances de rangs intraparcelles vignes-oliviers. Il est même possible de trouver de l’agroforesterie intrarangs où pieds de vigne alternent avec oliviers.

Un chercheur en médecine a, par ailleurs, trouvé une corrélation entre le nombre anormalement élevé de centenaires dans cette partie orientale de l’île et la très forte concentration en polyphénols antioxydants dans les vins rouges produits sur cette zone et bus en abondance. Il existerait donc bien un sardinian paradox qui tendrait à confirmer le french paradox !

 

La Corse en modèle

Le marché local, bâti sur le tourisme en croissance, assure environ 60% du débouché des vins sardes, en particulier pour les blancs qui sont consommés lors de la période estivale. La Sardaigne peut aussi compter sur l’Italie « continentale » et quelques marchés à l’export séduits par le vermentino et le cannonau, vins relativement faciles à boire et bien adaptés aux dernières tendances du marché mondial.

En cela, les producteurs sardes diversifient de plus en plus leur gamme avec des rosés ou des sparklings, tout en s’attachant aussi à garder des profils de vins plus traditionnels, sucrés, oxydatifs, plus alcoolisés… à la fois identitaires et historiques mais qui sont, de fait, plus difficiles à commercialiser.

Même si quelques projets indépendants émergent sur des zones dynamiques, peu d’investisseurs privés se lancent dans l’aventure et le secteur semble manquer de locomotives.

La filière reste atomisée avec une myriade de petits propriétaires et de microparcelles (particulièrement dans l’est de l’île), sous-équipés, peu ou pas formés et livrant à la coopérative. Le mouvement coopératif reste le modèle dominant et certaines pèsent très lourd dans le paysage économique et social, à l’exemple la coopérative de Jerzu qui compte pas moins de 430 producteurs pour 650 hectares, pour une production d’un million de bouteilles et fait vivre toute une région de montagne.

Le succès de la DOCG vermentino di Gallura, au nord de l’île, tend à prouver que le développement passera par la qualité, le tourisme et l’œnotourisme, mais le secteur reste confronté à des difficultés structurelles de coûts de revient élevés, de gouvernance, de stratégie globale de restructuration, de promotion et de soutien. Le modèle corse, voisin de quelques kilomètres au nord, est un bel exemple que certains producteurs aimeraient  suivre.

 

 

 

 

 

 

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