La Transcarpatie et son vignoble méconnu au cœur des Carpates

Le puissant vignoble soviétique pesa jusqu’à 1,3 million d’hectares et s’étendait sur plus de 4 000 km, sur une ligne allant de la Moldavie aux steppes de l’Asie centrale, le long de la Mer noire et des contreforts du Caucase, et ce pour des raisons climatiques et de tradition viticole. Loin de cet axe viticole majeur, à l’extrême ouest de l’ex-URSS, collé à la frontière avec l’Union européenne, se cache sur les pentes occidentales des Carpates une belle région viticole largement inconnue, longtemps hongroise, et devenue ukrainienne au gré des frontières artificiellement imposées par l’histoire. C’est la Zacarpathia, ou Transcarpatie.
 

70 ans de socialisme viticole dans les Carpates

Mystérieuses, sauvages, mystiques, célèbres pour avoir hébergé le comte Dracula et véritable barrière naturelle, les Carpates évoquent peu le vin, sauf peut-être pour la production roumaine. Ce massif long de 1 500 km, pouvant culminer à plus de 2 000 m, couvre une bonne partie de la Slovaquie, traverse l’ouest de l’Ukraine, pour finir sa course en Serbie et abrite depuis des siècles nombre de vignobles dans les sept pays traversés.

Le plus célèbre vampire est le comte Dracula, originaire des Carpates roumaine, personnage central du roman écrit par Bram Stoker en 1897

Comptant jusqu’à 14 000 ha de vignes durant l’ère soviétique, longtemps la région a répondu à la commande d’assouvir la soif du peuple en produisant de très gros volumes de petite qualité, ou des brandys de type cognac. Les cépages locaux (souvent hybrides comme l’Isabel) ou internationaux, hérités de la crise du phylloxera, y étaient plantés sur de riches et profondes plaines fertiles, et vinifiés sur des fermes ou coopératives d’État.
Comme dans les autres vignobles de l’empire viticole socialiste, la prohibition (dite "loi sèche") en vue de lutter contre la consommation excessive d’alcool, menée par Gorbatchev de 1985 à 1987, va être fatale à ce modèle imposé par ses prédécesseurs, et seules quelques parcelles perpétuèrent la tradition de production séculaire de cette zone jusque dans les années 2000.

Pourtant ici, comme à Tokay, à quelques kilomètres de l’autre côté de la frontière, en Géorgie ou en Arménie, la culture de la vigne et le vin sont partout et font partie de l’identité même de cette région. Pour Zacarpathia, productrice de vin depuis le Moyen Âge, les 70 ans d’emprise soviétique semblent n’avoir été qu’une parenthèse se refermant. Et depuis les années 1990, la vigne et le vin renaissent, retrouvant leur pleine et libre expression. Chaque habitant semble à la fois producteur et consommateur de vin fabriqué à la maison. Il n’est pas rare, même sur les immeubles du centre-ville de la capitale Uzgorod, d’observer des treilles couvrant parfois plusieurs dizaines de mètres carrés.


La difficile route vers l'économie de marché 

Estimant que la qualité des terroirs et des vins ne s’est pas arrêtée à la frontière dessinée artificiellement par les hommes, et se sentant plus proche de l’Europe occidentale que de la Russie, Zacarpathia a donc entamé depuis une vingtaine d’années sa mue vers des vins aux standards internationaux.

Dans cette région très touristique, Château Chizay propose une offre très complète leur permettant d’avoir une fréquentation annuelle supérieure à 14 000 personnes.
Les coteaux les mieux orientés, regardent vers l’ouest, et bénéficient d’un climat continental adouci car protégé des vents d’est par les Carpaths. Magnifique terre pour les blancs comme le furmint, le riesling, le gewurstraminer ou le chersegi. Les rouges peuvent aussi s’y exprimer lorsque le choix des vignerons se porte sur le pinot noir ou sur le merlot.

Mais ici, comme ailleurs en ex-URSS, tous n'avancent pas à la même vitesse et se côtoient l’ancien monde et le nouveau monde, celui de l’économie planifié et celui de l’entreprise privée et du libre marché.

En 2020, ils sont encore des milliers de petits producteurs ukrainiens, sans licence officielle, que la marche vers une économie de marché semble avoir oubliés, comme figés dans le passé rouge, n’ayant parfois que quelques ares ou une simple treille adossée à la maison ouvrière. Ils ne produisent que quelques kilos de raisin vendus à la coopérative pour l’autoconsommation, le marché local informel, la vente du raisin ou de vin, le long de la route, en bouteille plastique échappant à tout contrôle. Les fermes collectives existent toujours, mais les bâtiments et les vignobles des plaines sont souvent en piètre état.

À côté de ce modèle séculaire en souffrance, une vingtaine d’investisseurs privés ont profité de l’effondrement de l’URSS et de son économie planifiée pour engager d’importants investissements et bâtir des exploitations ultramodernes, calibrées pour aller sur le marché mondial.
 

Chizay : le leader et la locomotive de la région 

Château Chizay, fondé en 1995 par Hugo Gutman, en est incontestablement le leader et la locomotive. Avec ses 272 ha plantés sur de magnifiques contreforts des Carpates, Chizay s’est construit sur un business model occidental alliant cépages traditionnels et internationaux et vins contemporains déjà présents sur les grands concours mondiaux. En quelques années, Ugo Gutman, son créateur, a réussi son pari d’inscrire Zacarpathia et son domaine sur la carte des vins mondiale.

Château Chizay fondé en 1995 par Hugo Gutman en est incontestablement le leader et la locomotive de Zacarpathia

Loin de se satisfaire de ce succès œnologique et des 1,3 million de bouteilles mises sur le marché, Chizay dynamise aussi l’économie locale en développant un projet œnotouristique ambitieux, décliné à l’anglo-saxonne avec des visites, un musée, des événements, des boutiques, un hôtel un restaurant considéré comme le meilleur de la région… À l'arrivée : 14 000 visiteurs par an. Dans une région où se mêlent nature, thermalisme, activités sportives, patrimoine, et située aux portes de l’Union européenne, le tourisme peut être pour la Transcarpatie un formidable levier de développement économique.

Souhaitant profiter de cette dynamique, quelques microwineries dirigées par une jeune génération de vignerons s’engagent avec une vision contemporaine de leurs pratiques techniques, des modes de commercialisation et des profils aromatiques des vins proposés. Elles courent le risque de prendre une licence officielle, collent au business model européen en développant des vins contemporains de qualité, peu ou pas sucrés, des ice wine, des rosés, ou des effervescents avec la volonté de les vendre à l’international ou en se lançant dans l’accueil touristique.
 

Miser sur le tourisme pour gagner en notoriété

La région a de toute évidence un fort potentiel pour exister sur la scène mondiale, la qualité ne s’est pas arrêtée à la frontière, sur cette région qualitative où la Hongrie et la Slovaquie, à quelques kilomètres, produisent de très beaux vins. Déjà touristique, Zacarpathia aimerait construire l’émergence de ses vins en développant l’œnotourisme et le système d’indication géographique calqué sur le schéma européen, avec l’appui d’experts français et européens.

Exister à l’export n’est pas chose aisée mais le plus difficile pour les producteurs de Zacarpathia sera peut-être de convaincre les consommateurs ukrainiens de la qualité nouvelle des vins locaux. Zacarpathia, la belle inconnue des Carpates à l’internationale, souffre aussi d'un manque de notoriété et d’image sur le marché national ukrainien. Alors que fleurissent dans les grandes villes d’Ukraine restaurants et bars à vins branchés à l’occidentale, il y est beaucoup plus facile de boire des vins français, italiens ou sud-africains que des vins made in Ukraine, jugés peu modernes, peu tendances ou trop peu qualitatifs au regard des propositions des grands pays exportateurs. Les viticulteurs ukrainiens vont donc devoir d’abord gagner à domicile le match de l’image, avant de pouvoir prétendre à de belles victoires collectives à l’extérieur !

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