Les verriers tournent à plein régime et augmentent encore leurs prix

Avec une crise énergétique qui provoque l’envol des coûts de production, un conflit aux portes de l’Europe qui réduit les ressources en gaz et modifie la production de bouteilles ; avec aussi, en parallèle, la croissance de la demande de bouteilles en verre au niveau international, les vignerons sont confrontés à la fois les pénuries de contenants et une augmentation significative des prix. De leur côté, les industriels du verre font face à une situation inédite et extrêmement sensible, dont personne ne peut dire quand elle s’arrêtera. Explications.

La bouteille de verre reste le conditionnement principal du vin. Et pour la fabriquer, les industriels utilisent en grande majorité des fours fonctionnant au gaz (80%) et à l’électricité (20%), selon la Fédération française des industries du verre. Reconnue comme une industrie gazo-intensive, la fabrication du verre est une activité particulièrement secouée par le contexte géopolitique et économique du moment. Les usines sont dépendantes de la situation de l'approvisionnement local et doivent « accepter » le gaz naturel fourni localement. « Nous subissons de plein fouet la hausse des prix des énergies en Europe, une hausse du gaz, de l'électricité et du pétrole qui avait commencé fin novembre 2021. La guerre entre la Russie et l’Ukraine a apporté beaucoup d'incertitudes et a renforcé cette inflation », commente Jacques Bordat, président de la Fédération des industries du verre. Jean-Marc Arrambourg, PDG de Saverglass, leader mondial des bouteilles de luxe dans le domaine des spiritueux et du vin, dit « vivre une période très particulière. Après la pandémie, en Europe, nous avons assisté à une flambée inattendue de demandes de bouteilles, parfois de 50%. Et juste après, cette crise qui bouscule les marchés ! »

Au printemps 2022, la filière vin s’est alarmée. Retards de livraison, commandes non respectées, quantités limitées : les vignerons se sont parfois vus coincés, dans l’impossibilité d’embouteiller. Conséquence immédiate : les achats d’anticipation se sont multipliés afin de stocker des palettes de bouteilles dans les exploitations. Jacques Bordat se veut pourtant rassurant et ne voit pas poindre de pénurie à l’horizon : « Les verriers membres de la fédération prennent toutes les dispositions pour assurer la production et continuer à produire quoi qu'il arrive afin de répondre à la demande. Aucun des fours français ne s'est arrêté. Et les stocks sont à ras bord. Les verriers ont le pied au plancher, ils tournent à plein régime. » Même discours du côté de Saverglass, où les équipes doivent parfois faire preuve de pédagogie. « Lorsque les commandes paraissent excessives, nous essayons de raisonner les clients. Nous comprenons cette envie de faire des stocks, mais notre rôle est aussi de faire attention au plus grand nombre », rapporte Franck Collet, directeur des ventes.

Passer au gaz liquéfié pour remplacer le gaz russe

La filière du verre est confrontée à un dilemme. Cette industrie, lourde, n’est pas flexible et doit répondre à de nouvelles performances industrielles, mais aussi réduire sa dépendance énergétique, tout en maintenant, voire augmentant le niveau de production ! Comment s’engager dans cette transition sans toucher (encore) la facture du client ?  Pour Jacques Bordat, « il va falloir augmenter l'importation de gaz liquéfié venu des États-Unis, d'Australie, mais pour cela, il faut avoir les infrastructures, une ambition politique. Cela prendra du temps ». C’est l’une des particularités de l’industrie verrière. Tout changement dans sa production ne peut se faire que sur du moyen ou long terme. Illustration avec Saverglass. En plus d’avoir investi dans une grande structure de production au Mexique, le groupe vient de racheter l’usine Vidrala, située en Belgique. La production de l'usine est appelée à doubler, avec un gain net de l'ordre de 50 millions de bouteilles en plus par an à partir de 2024. En attendant cette croissance, depuis plusieurs mois, l’industriel affirme mettre en avant « l’aspect loyal du client » et prioriser « les plus fidèles, ceux avec qui nous avons toujours travaillé, même si on essaie de rendre service et de répondre au maximum de commandes ».

Moderniser les fours pour économiser

Pour réduire la facture énergétique et satisfaire la demande, les deux défis majeurs du moment, les verriers élaborent des stratégies variées. Modernisation des sites existants, construction de nouveaux fours, rachat d'usines...

Verallia, qui a refusé de répondre à nos questions, active plusieurs leviers. En fin d'année dernière, le groupe a investi en dehors de la zone UE et s'est implanté au Royaume-Uni en faisant l’acquisition d’Allied Glass, « un leader sur le segment de l’emballage en verre premium, spécialisé dans le marché des spiritueux ». En France, le verrier modernise ses infrastructures. Ainsi, dans l'usine de Châteaubernard (Nouvelle-Aquitaine), deux fours électriques viendront très prochainement remplacer le four à gaz du site afin de garder une capacité de production égale. En Bourgogne, Verallia investit pour augmenter les capacités de production dès à présent et projette de remplacer et d’installer trois nouveaux fours utilisant les « dernières technologies de fusion du verre ».

Afin de combiner transition écologique et baisse de facture, le groupe O-I Glass a quant à lui « choisi d'intégrer à l'un des deux fours du site de Vayres, un système de combustion à oxygène liquide qui doit remplacer le fioul, combustible jusqu'ici couplé avec le gaz. Nommé "Gas oxy advanced technology" (Goat), il doit permettre une baisse de consommation énergétique du four de l'ordre de 20% et une diminution de 60% des rejets en oxyde d'azote à partir de 2030 », peut-on lire dans les colonnes d’Objectif Aquitaine.

Mais pour trouver des solutions à plus court terme à la contrainte énergétique, des verriers passent du gaz au fioul pour alimenter les fours. C’est le cas de Vetropack. « Cette opération est possible car nous fonctionnions encore au pétrole il y a une dizaine d’années. L’infrastructure correspondante se trouve donc toujours en place. Cependant, ce changement n’est pas si facile à réaliser dans nos usines en dehors de la Suisse », précisait Simone Koch, responsable de la communication du groupe, dans une interview donnée en octobre 2022 au journal La Liberté. En complément, le fabricant suisse d’emballages en verre travaille sur la réutilisation de calcin1 afin d'en augmenter la part dans tous ses fours. Cette technique, qui limite la consommation de sable et de carbonate de sodium, réduit aussi sensiblement le besoin énergétique nécessaire à la fusion. 

Des tarifs vont continuer d'augmenter pour une clientèle captive

Malgré ces annonces, le tarif de la bouteille de vin ne va pas diminuer, ni même se stabiliser. Tous les fabricants préviennent : les prix vont continuer à monter. Ils ont déjà augmenté de près de 30% depuis le début de l’année. « De nouveaux ajustements de prix seront nécessaires », explique-t-on chez Vétropack. Le représentant des verriers confirme : « Avant cette crise, entre 20 et 30% de nos coûts de production étaient liés à l'énergie, indique Jacques Bordat. Aujourd'hui, ce coût a doublé ! Nous n'avons pas d'autres solutions que d'augmenter le prix de vente des bouteilles. »

Dans la filière, on s’interroge pourtant sur les bénéfices financiers réalisés par les verriers. Joint, mais ne souhaitant pas répondre à nos questions, le premier fabricant au monde, O-I Glass, a vu son bénéfice dépasser ses prévisions en 2022. Et Verallia assume pleinement la hausse des prix. Au premier trimestre 2022, le verrier alimentaire français a répercuté une partie de l’inflation des coûts de production avec une augmentation des prix de vente supérieure à 10%, sans que cela n’engendre une diminution de ses ventes. Au contraire même ! L’industriel a enregistré une hausse des volumes de vente proche de 10 %. Un cas exemplaire de « pricing power », cette capacité à imposer des augmentations de prix à ses clients sans les perdre… Même en pleine crise.

 

(1) 53 % de la matière première utilisée chez Vetropack provient de déchets de verre recyclés. Dans l’usine de Saint-Prex, en Suisse, le chiffre atteint 81%.

La parole à la Fédération des industries du verre
Dans un webinaire, la Fédération des industries du verre est revenue sur les tensions d’approvisionnement et la hausse de prix, donnant quelques explications pour comprendre la situation :
• Le coût de l’énergie augmente mais aussi celle du carbonate de soude, un élément qui entre dans la composition du verre ;
• Le marché du verre est dynamique en Europe. La demande est forte partout. Les verriers privilégient les marchés domestiques et limitent l’export, notamment vers la France ;
• L’Ukraine était un pays producteur de verre très important : 400 000 tonnes/an. L’arrêt des fours a joué sur l’approvisionnement européen par effet domino. Verallia possédait notamment des fours dans le pays ;
• Les sanctions prises par l’Union européenne sur la Russie ont détourné les flux de production du pays. Des opérateurs qui achetaient en Russie se sont donc tournés vers d’autres verriers déjà sous tension ;
• Fin 2022, les verriers français ont retrouvé leurs niveaux de production d’avant 2019.
S.F

 

À L'ARRET. En plus des hausses tarifaires successives depuis deux ans, des industriels arrêtent la production de certaines références comme en témoignait Jean-Jacques Bréban, le représentant des vins mousseux français dans Viti en décembre 2022 : « Les verriers nous ont annoncé il y a deux mois leur intention d’arrêter le modèle de bouteille " cuve close ", plus léger que les bouteilles utilisées pour les autres effervescents. Ils manquent de verre et doivent donc faire des choix, s’orienter vers les bouteilles les plus rémunératrices. »

Actualités

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15