Le monde du vin à l'heure des NFT

Après les secteurs de l'art et de la mode, les NFT intéressent celui du vin. Photo : gesrey/Adobe stock

Après les secteurs de la mode et de l’art, celui du vin se laisse à son tour séduire par les NFT. Certificat numérique d’une bouteille, ce « jeton non fongible » est censé assurer son authenticité et sa traçabilité. 

Malartic-Lagravière en avril, Smith Haut Lafitte en septembre, son propre domaine, le Château Edmus en octobre... À en croire Laurent David, depuis un an, il ne se passe plus une semaine sans qu’une propriété viticole ne fasse un « drop ». Un « drop », c’est-à-dire une vente de vin sous forme de NFT. « Le Non Fongible Token est un document électronique, enregistré dans la blockchain (lire par ailleurs), ce qui le rend unique et incopiable, explique celui qui est également président de la Wine Tech. Dans le cadre du vin, ce document est relié à une bouteille, et ce n’est ni plus ni moins que son titre de propriété sous forme électronique. Un NFT = une bouteille, c’est en quelque sorte son jumeau numérique. »

Propriétaire du château Edmus à Saint-Émilion, Laurent David a décidé de vendre l'intégralité du millésime 2017 sous forme de NFT et en allocation. Photo : Château Edmus
Ancien cadre d’Apple, Laurent David fait partie de ceux convaincus que ces « jetons non fongibles » sont le futur du vin. Après une première vente couronnée de succès en 2022, son Château Edmus réitère l’expérience, depuis octobre, en vendant sur la plateforme Intercellar l’intégralité de son millésime 2017 sous forme de NFT. Soit 2 574 bouteilles vendues 49 €. « Nous travaillons sur 1,68 hectare et 2017 a été à la fois une année de gel et de transition en biodynamie, la production a donc été faible », contextualise celui qui a repris ce saint-émilion grand cru en 2016. Loin d’être une lubie de néovigneron geek, cette technologie intéresse des acteurs ancrés de longue date dans le monde du vin. 

Authenticité, traçabilité, conservation 

Les quatre fondateurs de la plateforme WineChain, lancée ce printemps, ont ainsi convaincu une centaine de domaines « parmi les 500 plus prestigieux à travers le monde », de tester les NFT. Parmi eux, la maison de champagne Louis Roederer, Cos d’Estournel à Saint-Estèphe, le Domaine Taupenot-Merme en côte de Nuits, Egon Müller en Allemagne, Ceretto en Italie... « Aujourd’hui, le problème du marché des grands vins, c’est qu’il y a plein de faux, et lorsque l’on achète une bouteille qui a un peu d’âge, on ne peut pas être sûr qu’elle sera bonne. Elle aura peut-être voyagé à travers le monde et été conservée dans de mauvaises conditions, dépeint Guillaume Jourdan, cofondateur de la plateforme. Avec les NFT, on évite cela. »

Xavier Garambois, Marc Perrin, Nicolas Mendiharat et Guillaume Jourdan ont lancé WineChain en mai 2023. Photo : WineChain
Garantir la traçabilité, l’authenticité et la conservation des vins, c’est la promesse faite par les sympathisants des jetons non fongibles. Comment ? La traçabilité grâce à l’inscription dans la blockchain, l’authenticité et la conservation en évitant que les bouteilles ne passent de cave en cave. « Quand un client achète une bouteille, c’est une vente directe du producteur au consommateur, et cette bouteille est stockée soit au domaine, soit dans des centres de stockage dans des conditions optimums, assure le cofondateur de WineChain. Si le client veut la revendre, ce qui va s'échanger, c’est le NFT, son double digital. La bouteille, elle, va toujours rester soit au domaine, soit sur notre plateforme logistique. »

Encadrer la spéculation 

Dès que son propriétaire souhaitera la boire et la fera venir chez lui, le triptyque traçabilité/authenticité/conservation ne sera plus assuré, et le NFT sera alors « brûlé » et ne pourra plus être échangé. Que ce soit WineChain, Intercellar ou Crurated, les plateformes spécialisées dans la vente de vin par les NFT fonctionnent selon ce même principe. « D’un point de vue écologique, cela évite aussi qu’une bouteille se promène à travers le globe et ne fasse quatre ou cinq fois le tour du monde avant d’être bue », ajoute Pierre Dietrich. 

Les frères Jean et Pierre Dietrich ont décidé de tester les NFT en mettant en vente 235 bouteilles d'une vendange tardive de 2017. Photo : Domaine Achillée
Cofondateur avec son frère Jean du Domaine Achillée, l’Alsacien a lancé un drop en juin sur Romane, une toute nouvelle plateforme créée par la start-up Wine in block. 235 bouteilles issues d’une vendange tardive de 2017 sont en vente au prix de 55 €. « On a compris que cette technologie pouvait avoir un intérêt qualitatif pour le vin, mais on a mis du temps à trouver des partenaires qui avaient la même philosophie que nous, se souvient Pierre Dietrich. Il y a beaucoup de gens qui lancent des grandes séries de NFT dans une démarche uniquement pécuniaire et dont le but est de faire de la spéculation. »

Pour s’en prémunir, certaines plateformes comme Romane ou WineChain offrent la possibilité aux producteurs d’appliquer des royalties sur les plus-values. Si le taux est à 70 %, le revendeur devra par exemple reverser 70 % de la plus-value au domaine. Une manière plutôt efficace de décourager les spéculateurs. « Mais ce n’est pas le NFT en lui-même qui est contre la spéculation, nuance Guillaume Jourdan. C’est la manière dont nous avons conçu notre plateforme qui offre cette garantie. » Sur Opensea, l'une des plus importantes places de marché pour les NFT, des bouteilles de vin se vendent sans que les domaines n’aient leur mot à dire. Et, cela va sans dire, ne touchent un kopeck. 

Une nouvelle génération de consommateurs 

Autre atout des « vins NFtisés », l'opportunité de créer une « communauté » autour du domaine. Le Château Edmus va ainsi lancer son drop sous forme d’allocation, et les acheteurs rejoindront un club composé de 300 membres. Un privilège qui leur donnera accès à un an de stockage gratuit, la possibilité de participer aux vendanges et à divers événements, de dormir dans une suite du château, ou encore de choisir la nouvelle étiquette des cuvées à venir. « Nous voulons être en direct et créer une proximité avec les gens qui achètent, consomment et parlent de notre vin », s’enthousiasme Laurent David.

Idem chez WineChain où les NFT sont aussi vus comme une manière de toucher de nouveaux consommateurs peu familiers du monde des grands vins. « Aujourd’hui, ces grands vins sont achetés et bus par une population vieillissante, et il faut trouver la next gen, estime Guillaume Jourdan. Ce n’est pas simple d’estimer ce que représentera cette nouvelle génération dans un, deux ou cinq ans. Il n’y a pas encore de chiffres parce que nous sommes en train de créer le futur de la consommation de ces grands vins. »

 

À quels vins s’adressent les NFT ?
Les Non Fongible Token s’adressent plutôt à des vins rares, qui sortent de l’ordinaire et qui nécessitent plusieurs années de garde avant d’être consommés. Pour sa première vente, le Château Edmus a ainsi proposé 10 magnums de 100 % cabernet franc dont les étiquettes ont été conçues par Dimitri HK, un crypto-artiste également tatoueur. Mises aux enchères à 1 € sur iDealwine, les bouteilles ont au final rapporté 22 000 €. Du côté du Domaine Achillée, les frères Dietrich ont choisi une cuvée non seulement minuscule – 235 bouteilles –, mais également avec un potentiel de garde pouvant aller jusqu’à vingt, voire trente ans. « Des personnes vont peut-être s’amuser à revendre des bouteilles au fil du temps, et c’est là que la technologie des NFT va prendre tout son intérêt, puisque plutôt que d’échanger des bouteilles, elles pourront s’échanger le NFT », se projette Pierre Dietrich.
Autre critère, le prix de vente de la bouteille. Il doit pouvoir absorber le coût de fabrication du NFT, entre 2 € et 8 €, et la commission prise par les plateformes. 

Le Château Edmus a réalisé un premier "drop" en mettant aux enchères 10 magnums d'une cuvée 100 % cabernet franc dont les étiquettes ont été réalisées par un crypto-artiste.  Photo : Laurent David

Le mot
Blockchain (ou chaîne de blocs) : développée à partir de 2008, c’est une technologie de stockage et de transmission d’informations prenant la forme d’une base de données. Elle offre de hauts standards de transparence et de sécurité, car elle permet à ses utilisateurs, connectés en réseau, de partager des données sans intermédiaire. C’est ce que l’on appelle le « Web3 ». En outre, ce qui est inscrit dans la blockchain est impossible à effacer et ne peut être modifié.
Pour en savoir + : Qu’est-ce qu’une chaîne de blocs (blockchain) ? 

Vente

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15