« Le changement climatique est la menace la plus importante pour l’industrie du vin »

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L’International Wineries for Climate Action regroupe des entreprises qui souhaitent agir collectivement pour décarboner l’industrie mondiale du vin. Miguel A. Torres, cofondateur de l’association, appelle les vignerons français à rejoindre la dynamique. À cette occasion, l’emblématique vigneron négociant espagnol détaille quelques-unes des mesures bas-carbone mises en œuvre sur les domaines de la famille.

Avec la famille Jackson aux États-Unis, vous avez créé l’International Wineries for Climate Action avec l’idée de fédérer les établissements vinicoles impliqués dans la décarbonation de leur activité. Après deux années d’existence, vous souhaiteriez qu’une entreprise française rejoigne l’IWCA. Pourquoi cet appel ?

Miguel A. Torres : La France est premier pays producteur de vins de qualité au monde, il est donc important pour l’IWCA d’avoir un ou plusieurs représentants français qui puissent porter notre message à la profession.

Le changement climatique a des répercussions locales diverses, mais c’est avant tout un phénomène mondial qui mérite la mobilisation de chacun. En Espagne, sur notre domaine historique, situé en Catalogne, les températures moyennes ont augmenté d’1,3 °C en quarante ans, les vendanges ont avancé de 10 jours en vingt ans et on constate de plus en plus de déséquilibres à la maturité. Je ne crois pas que la filière de vin sera durable en Europe, y compris en France, si la température augmente de 2-3 °C d’ici la fin du siècle. Les endroits où l’on pourra faire du vin de qualité vont se raréfier. C’est un avenir qu’il faut éviter à tout prix.

L’IWCA réunit toutes les maisons viticoles qui reconnaissent que le changement climatique est la menace la plus importante pour l’industrie du vin et qui agissent pour limiter leur empreinte carbone. Dans ce groupe de travail, nous collaborons à identifier et à partager des solutions innovantes qui atténuent les effets du changement climatique. Plus nous serons nombreux, plus nous inciterons de producteurs de vin à s’interroger et à suivre le chemin d’une industrie décarbonée.

L’un des préalables pour candidater à l’IWCA est d’être alimenté à au moins 20 % par des énergies renouvelables produites sur son exploitation. Le renouvelable est-il selon vous la seule source d’énergie décarbonée acceptable ?

M. T. : Les énergies renouvelables éoliennes, solaires, géothermiques, biomasse ont un taux d’émission de gaz à effet de serre (GES) extrêmement moins important que le gaz naturel, le pétrole ou le charbon. En France particulièrement, se pose la question du nucléaire, une source d’énergie à l’empreinte carbone comparable à celle des énergies renouvelables. Mais le nucléaire, malgré son impact carbone faible, n’est pas une voie d’avenir.

L’Union européenne investit massivement dans les énergies renouvelables afin d’inciter les entreprises à faire une transition. De manière volontaire, les maisons du vin ont intérêt à commencer à réduire leurs émissions et cela passe par la production d’énergie durable.
 

La famille Torres a mis en place des panneaux photovoltaïques sur ses sites espagnols. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces installations et leur potentiel de production ?

M. T. : Nous avons installé de l’énergie photovoltaïque dans toutes nos bodegas. En tout, le potentiel est de 1 500 kWc avec des panneaux installés sur les toitures, au sol et plus récemment en combinaison façade et toiture.

L’installation la plus importante est celle de la bodega principale de Pacs del Penedès. Des panneaux photovoltaïques sur 12 000 m² génèrent 674 kWc, auxquels il faut rajouter deux installations en autoconsommation (428 kWc), qui couvraient jusqu’à présent 26 % des besoins électriques de ce site. Cette part va augmenter grâce à la mise en service d’une nouvelle installation de 100 kWc disposée sur des toitures. Par ailleurs, un projet de 2 MW de puissance sur les toits et au sol est prévu à terme.


La fermentation alcoolique des vins produit inévitablement du CO2. Dans les bodegas Torres, des projets sont-ils mis en place pour capter ce carbone ?

M. T. : Cela fait déjà plus de dix ans que nous testons des solutions innovantes pour réutiliser le CO2 de la fermentation. Nous avons essayé la production d’algues qui s’alimentent de CO2, la construction de serres maraîchères avec une atmosphère enrichie en CO2 afin d’activer la photosynthèse et la croissance des légumes. Récemment, nous avons identifié une solution plus efficace qui consiste à capturer le CO2 fermentaire pour le réutiliser dans la même cave comme un gaz inerte protecteur. Nous avons déjà fait un test en 2019 et nous étions prêts à le mettre en place en 2020, mais nous avons dû le décaler à cette année, en espérant capturer et réutiliser plus de 20 tonnes de CO2. Par ailleurs, nous avons testé la méthanisation, la transformation du CO2 en CH4, qui permet de réduire la consommation de gaz ou d’essence utilisés pour le transport ou la production de chaleur. Nous espérons l’approbation d’une subvention qui permettrait de mettre en place un système de taille moyenne.


Le périmètre servant à mesurer l’empreinte carbone d’un domaine viticole membre de l’IWCA est très large. Il ne s’arrête pas aux émissions propres au domaine. Pourquoi ce choix ?

M. T. : L’IWCA se repose sur des normes internationales qui définissent trois catégories d’émissions. Ces catégories, que l’on appelle aussi scopes, regroupent les émissions directes de GES liées à la production du raisin et du vin comme la consommation de carburant, et les émissions indirectes de GES.

Dans ce dernier type de scope, on mesure les émissions liées au déplacement des employés, aux emballages, aux intrants… Il n’y a qu’avec cette méthode que l’on peut honnêtement se revendiquer « entreprise neutre en carbone ». Les maisons et les certifications collectives qui ne prennent pas en compte les émissions indirectes ne font pas la moitié du travail, car ces dernières représentent en général 80 % des émissions des entreprises vinicoles.


Entre 2008 et 2020, l’empreinte carbone des bouteilles de vin produites par la famille Torres a diminué de 30 %. Comment comptez-vous atteindre l’objectif de - 55 % d’ici 2030 ?

M. T. : Il y a encore beaucoup à faire sur le verre. Nous avons déjà travaillé sur l’allègement des bouteilles, en réduisant le poids de 15 % en moyenne. Nous sommes aussi en contact direct avec nous fournisseurs pour essayer de les pousser à faire la transition vers les énergies renouvelables et éviter le gaz.

Plus récemment, nous avons participé au projet Rewine dont l’objectif est de démontrer la viabilité d’un système de collecte, de nettoyage et de réutilisation des bouteilles en verre dans l’industrie du vin catalane. Le test pilote Rewine est probant. Mais pour assurer la bonne marche de l’initiative à grande échelle, il faut mettre en place une gamme standard de bouteilles réutilisables communes et accessibles à l’ensemble des vignerons. Nous avons adressé un courrier en ce sens à la Commission européenne qui est, pour l’instant, sans réponse.

En interne, nous intégrons les véhicules électriques. Pour le moment, douze de nos commerciaux sont équipés de voitures électriques, mais nous visons une flotte de 150 unités. L’électrique est aussi dans les vignes. Un premier tracteur va arriver à la bodega en mai 2021.

Pour atteindre - 55 % en 2030 et - 80 % d’émissions de GES en 2045, nous travaillons avec nos fournisseurs et notamment les quelque 900 viticulteurs de Catalogne à qui nous achetons du raisin. Un outil interne leur permet de calculer leur bilan carbone et leur donne des recommandations pour réduire leur empreinte.


Que penser des stratégies de compensation de ses émissions de gaz à effet de serre grâce à la séquestration de carbone dans le sol et les plantes ?

M. T. : La viticulture régénérative consiste à stocker un maximum de carbone grâce aux couverts végétaux, à l'ajout de compost... Nous sommes en train de mener une étude sur 4 ans pour mesurer exactement les bénéfices de ces méthodes pour réduire les émissions de GES. Actuellement, nous pensons qu'en théorie ceci devrait se situer entre 2 et 4% par an, de manière non cumulative. Le carbone organique des sols fait partie du cycle global du carbone. Une part est nécessairement appelée à se transformer en CO2. 
 


Le respect du cahier des charges de l’agriculture biologique est-il compatible avec une production décarbonée de vin ?

M. T. : L’agriculture biologique a deux problèmes à résoudre. Le premier est lié aux émissions de gaz à effet de serre libérés pour les nombreux passages de pulvérisateur. En pleine saison, selon l’année, il faut passer presque toutes les semaines. En viticulture conventionnelle, grâce aux produits pénétrants, la rémanence est plus importante. Les deux voies consomment des carburants fossiles émetteurs de gaz à effet de serre, mais les viticulteurs bio ont un impact plus fort sur le réchauffement climatique par leurs méthodes de protection de la vigne contre les maladies. Sur ce point, une solution rapide viendra des tracteurs électriques qui arrivent sur le marché.

L’autre problème de l’agriculture biologique, à mon sens, c’est le cuivre. L’usage en a été réduit et on accepte plus maintenant que 4 kg/ha/an dans les vignobles européens. Mais, malgré tout, le cuivre est une substance toxique qui affecte la microbiologie du sol.


L’un des deux pans de recherche du programme Torres & Earth est d’adapter les pratiques au changement climatique. Sur quels axes orientez-vous les expérimentations ?

M. T. : Il y a d’abord les techniques appliquées aux vignes en place. Nous testons diverses modalités sur l’effeuillage, la hauteur de palissage… pour générer un retard de maturité. La recherche de variétés ancestrales est une autre piste. Nous avons redécouvert des variétés qui étaient oubliées ou perdues, par exemple la forcada dont la maturation est plus lente et qui s’adapte mieux au climat plus chaud. Enfin, nous avons planté des vignobles au pied des Pyrénées, à Tremp à 1 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Nous testons ainsi de nouveaux scénarios de plantation.

IWCA

Pour intégrer l’International Wineries for Climate Action, les maisons viticoles candidates doivent répondre à quatre conditions :
• être alimentées à au moins 20 % par des énergies renouvelables produites sur site ;
• avoir réalisé au moins un bilan carbone vérifié par une tierce partie qui prend en compte les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre de l’entreprise (en utilisant le protocole GES WRI et le processus ISO 14064) ;
• démontrer une réduction d’au moins 25 % des émissions de CO2 par unité de vin produite à partir d’une année d’inventaire des émissions de référence comme preuve d’un engagement proactif continu ;
• avoir un objectif à moyen terme de réduction des émissions totales de 50 % d’ici 2030, visant à devenir climatiquement positif d’ici 2050.

Seconde vie
Le projet Rewine a récupéré plus de 82 000 bouteilles de vin en vue de leur réutilisation. Les études préliminaires développées dans le cadre du projet montrent que la réutilisation des bouteilles entraîne une économie comprise entre 0,56 kg et 2,3 kg de CO2 par bouteille, après huit utilisations. La distance optimale entre la cave et la laverie est de 60 km.
Biomasse
Des chaudières alimentées par de la biomasse ont été mises en place sur trois caves de la famille Torres. Le marc séché, des déchets de bois issus de l’entretien des forêts de proximité et les sarments de taille servent de combustible. La chaudière de Pacs del Penedès a permis de réduire de 95 % la consommation de gaz et de 10 % celle d’électricité. Côté carbone, cette solution nous évite une émission de 1 300 tonnes de CO2 par an. 

Article paru dans Viti Leaders 459 de mars 2021

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