Les connaissances partielles sur cryptoblabes compliquent la lutte 

Spécialiste des phéromones, l’entreprise CBC Biogard a invité le professeur italien Andrea Lucchi. À l’occasion du Sitevi, l’entomologiste a partagé ses connaissances mais aussi les inconnues entourant "Cryptoblabes gnidiella", la pyrale du daphné. Ces questions sans réponses gênent la prescription, notamment celle portant sur la confusion sexuelle.

La vitesse du cycle de développement dépend de la disponibilité de nourriture mais aussi des températures moyennes : plus il fait chaud, plus le cycle est rapide.  Photo : A. Lucchi

Décrite pour la première fois en 1867, Cryptoblabes gnidiella est passée en deux décennies d’un insecte ravageur mineur à un ravageur de première importance dans les vignobles méditerranéens en bord de mer. Alors que les dégâts générés par ses larves augmentent, les connaissances sur l’insecte sont encore partielles.

Andrea Lucchi, entomologiste spécialiste de la faune viticole et professeur à l’université de Pise en Italie, est devenu un expert reconnu du papillon. « Il reste en effet des incertitudes sur la biologie de cryptoblabes. Mais commençons par ce que l’on sait ! »

Les larves hivernent à différents stades, dans des cocons de soie, à l’intérieur des grappes non vendangées ou sur les grappillons, mais aussi dans le sol. Ces formes hivernantes à des stades de développement variés vont être à l’origine des premiers adultes qui apparaissent au printemps. « Scientifiquement, il serait intéressant de sortir les grappes non vendangées des parcelles à l’automne et de comparer les suivis de populations à une parcelle témoin. Mais, économiquement, les domaines toscans avec lesquels je travaille estiment cette mesure potentiellement prophylactique, impossible à réaliser. »

Les larves de cryptoblabes, surtout aux derniers stades  de développement, se différencient de celles des tordeuses grâce à deux bandes noires au niveau dorsal. Photo : CBCEuropeSrl
Les scientifiques s’accordent aussi sur les faits que les premiers vols des adultes dans la vigne se produisent autour du mois de mai, entre la floraison et la nouaison. Puis, jusqu’à mi-juillet, les adultes disparaissent des radars sans avoir pondu dans la vigne. Les femelles reviennent aux alentours de la véraison pour y déposer leurs œufs.

La ponte se fait à l’intérieur des grappes de raisin sur les parties lignifiées de la rafle. L’observation des grappes à la vigne ne permet pas de voir les œufs et les larves. Il est nécessaire de couper des grappes et, en salle, de les dépouiller pour chercher l’insecte bien caché.

Rapidement, les œufs deviennent larves. Cryptoblabes gnidiella s'associe à Planococcus ficus, la cochenille farineuse de la vigne, pour en manger le miellat. Les larves se nourrissent aussi de la rafle, du pédoncule, des pédicelles et, rarement, des baies encore vertes. Si eudémis perfore les baies, cryptoblabes peut y pénétrer.

Où gîte cryptoblabes pendant le printemps ?

Andrea Lucchi a aussi mis en lumière les zones d’ombre autour de cryptoblabes. Notons ainsi que les chercheurs ignorent tout de la capacité de vol de l’insecte. Sur quelle distance peut-il se déplacer ? A-t-il des heures de prédilection ? « Par exemple, eudémis vole entre 19 et 23 heures, rappelle le professeur. Cryptoblabes, on ne se sait pas. Mais nous espérons avoir une réponse cette année en faisant des relevés de pièges très réguliers dans les vignes, puisqu'en laboratoire, nous ne savons toujours pas les élever. Ce dernier point participe grandement aux manques de connaissances persistants sur ce ravageur. »

Deux autres questions sont en suspens :

  • Où vit cryptoblabes entre mai et juillet ? « Les relevés sur les plantes potentiellement hôtes de Cryptoblabes gnidiella à l’intérieur du vignoble et dans ses alentours n’ont rien donné », s’étonne encore le professeur.
  • D’où viennent les femelles fécondées observées fin juillet-début août ?

Les inconnues autour de la fécondation des femelles ont des conséquences importantes sur les stratégies de lutte contre le ravageur. « Ce sont les réponses à ces questions qui permettront de trancher sur l’intérêt qu’il y a ou non d’investir dans la confusion sexuelle contre cryptoblabes, estime Andrea Lucchi. Les phéromones sont utiles si les insectes tentent de se reproduire dans les vignes. Si l’accouplement des papillons se fait ailleurs, ce moyen de lutte n’est pas efficace»

Des insecticides à partir de la véraison

À défaut de confusion sexuelle, les chercheurs et les techniciens de terrain s’activent pour trouver les mesures prophylactiques et les programmes insecticides les plus efficaces. Les leviers préventifs sont presque nuls. Pour limiter les dégâts, à défaut de traitement, l’unique solution consiste à ne pas trop pousser les maturités.

Grâce au positionnement  de pièges à phéromones  dans les vignese, le vol  des adultes de cryptoblabes  peut être suivi. Photo : CBC Biogard
Concernant la lutte insecticide, Cyril Cassarini, de la chambre d’agriculture du Gard, a rappelé, à l’occasion de la conférence organisée par CBC Biogard, ses préconisations de surveillance et de lutte contre cryptoblabes : « Il faut que les premiers vols significatifs soient constatés, c’est-à-dire lorsque l’on capture 20 à 30 papillons tous les deux ou trois jours dans les pièges sexuels. Ensuite, les raisins doivent avoir commencé la véraison. En suivant un plan de pose, il est important de commencer les piégeages, dès le mois de mai, avec des capsules de phéromones adaptées à cryptoblabes. »

Effectivement, le vol des adultes de cryptoblabes peut être suivi grâce au positionnement de pièges à phéromone. « Il est important que les capsules soient bien conservées à 4 °C et qu’elles soient mises à température ambiante, seulement au moment de la pose dans le piège, à cause de la nature volatile et instable de la phéromone (aldéhydes) », rappelle CBC Biogard qui distribue des phéromones et des pièges à insectes.

Vols significatifs et stade véraison conditionnent le déclenchement du premier traitement pour la plupart des préconisateurs. Les molécules homologuées sont variées : Bacillus thuringiensis kurstaki (Dipel DF, Delfin…), spinosad (Success 4, Fycilia), spinetoram (Radiant), emamectine (Affirm, Proclaim),  etc. Et pour maximiser l’efficacité de ces solutions, le volume de bouillie utilisé doit être important pour bien mouiller la zone ciblée des grappes.

INFO+ Besoin de plus d’infos ?
Vous pouvez relire l’article « Contre cryptoblabes,
comment piloter la lutte insecticide? »
Groupe Gérard Bertrand, Aude : des traitements au Bt renouvelés tous les 10 à 15 jours
Guillaume Barraud, directeur adjoint des domaines Gérard Bertrand, pilote près de 1 000 hectares de vignes certifiées bio, notamment sur le vignoble de La Clape, dans l’Aude. Le groupe, qui vise des maturités avancées pour ses rouges, est confronté à des dégâts de cryptoblabes. « Nous positionnons des pièges en hiver sur l’ensemble du parcellaire exposé. Les mourvèdres sont particulièrement sensibles. On réalise un premier traitement à base de spinosad au début du premier vol, fin juillet-début août. Puis, nous utilisons des Bacillus thuringiensis, jusqu’aux vendanges tant qu’il y a des vols. Les traitements se poursuivent jusqu’en octobre, avec un renouvellement tous les 10 à 15 jours. Ce sont des passages spécifiques, car on ne peut pas mélanger du Bt et du cuivre. Avec les tractoristes mobilisés par les vendanges, le cumul des opérations est dur à organiser mais les résultats sanitaires sont positifs. »
DR

 

Article paru dans Viti hors-série d'avril 2022

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