Face au changement climatique, il existe des solutions à combiner dans les vignes

Alain Deloire est enseignant-chercheur à l’institut Agro (Montpellier SupAgro). Il fait le point sur les conséquences du changement climatique sur la vigne et sur les pistes d’adaptation à explorer.

Comment le changement climatique impacte-t-il la vigne ?
Alain Deloire :
Le changement climatique génère plusieurs contraintes sur la vigne influençant le rendement comme les styles de vin produits : la sécheresse bien sûr, la hausse des températures (et notamment les vagues de chaleur) et de l’ensoleillement au niveau des grappes, mais aussi une très forte amplitude de variation entre millésimes. Nous en avons encore la preuve cette année. Cette différence entre les années complique encore les choses : d’abord parce qu’elle n’est pas prévisible et ensuite parce qu’elle cumule les difficultés pour la vigne : gel une année, sécheresse l’année suivante… ou les deux la même année. Ces changements ont non seulement une influence sur le rendement de l’année et peuvent poser des soucis de maturité, mais aussi gêner la mise en réserve carbonée. Au fil des années, la vigne risque de péricliter.

Quelles sont les solutions à court terme ?
A. D. :
Quand on veut proposer des solutions, il faut connaître les problèmes liés aux seuils de contraintes et/ou au stress subi par la plante.
En ce qui concerne l’eau, la meilleure solution est l’irrigation. Cette dernière ne permet pas d’augmenter le rendement, mais d’atteindre celui décidé lors de la taille, de débloquer des situations de maturité difficiles, d’éviter des problèmes de pertes aromatiques et de garder une certaine fraîcheur aux vins. Quel que soit le cépage, y compris des cépages très tolérants à la contrainte hydrique comme l’assyrtiko, il faut entre 250 et 350 l d’eau au vignoble (calcul basé sur l’évapotranspiration d’un vignoble) pour obtenir 1 l de moût. Il n’est pas possible de descendre en dessous de ces valeurs, à moins de réduire la densité de plantation et le nombre de bourgeons fructifères par pied et donc les rendements et la surface foliaire associée (il faut environ 1 m2 de surface foliaire exposée pour faire mûrir 1 kg de raisin). Mais cela pose des questions de rentabilité. L’irrigation doit être raisonnée en stades phénologiques et en seuils, les besoins en eau variant au cours du cycle de la vigne. Les travaux menés en France depuis plus de vingt ans montrent que les apports d’eau raisonnés et au bon moment permettent de maintenir le rendement et de conserver le profil aromatique du vin, avec des apports de 50 à 100 mm sur le cycle de la vigne. En fonction du profil aromatique de vin souhaité, une trajectoire hydrique peut ainsi être définie.
Une vigne bien alimentée en eau peut également décrocher à cause d’une vague de chaleur. Nous commençons à constater ce phénomène, déjà identifié dans des pays comme Israël ou l’Australie, dans certains vignobles français. La hausse des températures fait croître la transpiration de la vigne et, à un moment, les racines ne peuvent plus fournir. Cela provoque un embolisme, c’est-à-dire une rupture de la conduction de l’eau dans les vaisseaux du xylème. Là aussi c’est une question de seuil: une température supérieure à 38 °C pendant plusieurs jours peut provoquer de l’embolisme (phénomène irréversible), aggraver les problèmes de sécheresse, fusiller les arômes, flétrir les baies et augmenter le degré alcoolique des vins. Il existe bien sûr des solutions sur le long terme : choix de l’encépagement (cépages locaux), choix du porte-greffe, vie des sols et matière organique. Par exemple, on ne fait pas plus performant que la combinaison grenache/110R !

Baies de syrah à différents stades de flétrissement. Photos : A Deloire

Et vis-à-vis des températures ?
A. D. :
Là non plus, n’y a pas de solution miracle, mais quelques idées dans la boîte à outils. Pour la température, certaines solutions, déjà mises en œuvre dans les vignobles chauds, peuvent également être appliquées chez nous, comme l’ombrage avec des filets, l’usage de kaolinite ou la brumisation. En Californie, l’université de Davis a montré que la pose de filet ombrière au-dessus des vignes permettait de réduire de 30 % les besoins en eau, par limitation de l’interception du rayonnement. Les ombrières-filets peuvent aussi se placer au niveau de la zone des grappes1.
L’agrivoltaïsme ou l’agroforesterie peuvent apporter également des réponses. Il est aussi possible de jouer sur l’architecture des pieds, sur la densité de plantation, sur la diminution de la surface foliaire exposée. Il y a en France un raisonnement qu’il faut bannir, liant densité de plantation élevée et qualité des vins.
L’architecture des pieds est une voie à envisager : en situation de climat chaud et sec, il faut aller vers des petits systèmes de conduite (gobelet, palmette). En situation chaude avec irrigation, comme en Afrique du Sud, on trouve plutôt des grands systèmes de conduite, en rideau simple ou double avec des rendements de 18 à 20 t/ha. Sur cette thématique, on peut signaler l’utilisation en Australie de la taille mécanique de vignes non palissées, qui augmente la surface foliaire exposée, génère des rameaux retombants créant un microclimat favorable au niveau des grappes les protégeant des excès de lumière et améliorant l’humidité de l’air. C’est physiologiquement très intéressant.

Quelles sont les possibilités d’action pour conserver le profil des vins ?
A. D. :
Il faut travailler sur la date de vendange, cibler la fenêtre intéressante pour le profil produit souhaité, en se basant sur la dynamique de chargement en sucres dans la baie. Il faut bien comprendre qu’il existe deux sous-étapes pendant la maturation du raisin : un pré-plateau du chargement en sucres, un post-plateau. De manière assez constante, à partir de la véraison, chaque baie va accumuler des sucres pendant 28 à 30 jours, avant d’atteindre le plateau à 10-11°. Une fois le plateau atteint, la durée avant la vendange varie selon les cépages. En champagne, la vendange s’effectue 5 à 10 jours après le plateau pour rester sur la fraîcheur, alors que pour du merlot, par exemple, un profil fruits frais s’obtiendra avec une vendange à 10 jours après le plateau, et un profil fruits mûrs 20 jours après le plateau. Il faut calibrer la date de vendange en fonction du cépage et du profil aromatique de vin souhaité.
Il y a souvent confusion entre les notions de date de vendange et de maturité. C’est parce que la baie perd de l’eau en raison de la chaleur que la concentration en sucres et donc le pourcentage d’alcool augmentent, ce n’est pas une maturité plus rapide.

Quelle peut être l’influence de pratiques viticoles comme la taille tardive ou le tressage ?
A. D. :
L’idée d’adapter la date de taille est intéressante, de façon à décaler les stades phénologiques de la vigne, dont l’entrée en véraison pour que le plateau de chargement en sucres se fasse à une période plus fraîche, et donne un vin plus aromatique. Deux choix sont possibles : soit tailler tard au moment du pré-débourrement (généralement durant les pleurs de la vigne), ce qui décale le débourrement d’une semaine mais pas forcément la véraison ; soit tailler tard en post-débourrement. Cette dernière solution fait appel au concept d’acrotonie des sarments de vigne non taillée. Le phyllochrone (vitesse d’apparition des jeunes feuilles) va dépendre des sommes de températures dès le débourrement. Il est important de savoir jusqu’à combien de jours post-débourrement il est possible de tailler pour décaler le démarrage des bourgeons de la base du sarment se développant tardivement du fait de l’acrotonie, tout en conservant une fertilité et un rendement acceptable. Les bourgeons du haut ayant démarré, les réserves carbonées ont été entamées. Cela se calibre en fonction des cépages et du climat. Par exemple, pour la syrah il est possible de décaler de 5 à 10 jours la taille post-débourrement, voire un peu plus en climat frais. Il est préférable de tailler post-débourrement et accepter 10 % de perte de rendement que de tout perdre en cas de gel. Mais l’inconvénient de cette pratique est que la fenêtre de taille est très courte et cela engendre des problèmes de logistique. Elle est donc à réserver aux petits vignobles, à certaines parcelles gélives, ou aux producteurs passés en taille mécanique du type taille rase de précision. L’effeuillage apical et le tressage sont des pratiques à suivre.

Un conseil pour « gérer » ce changement climatique et faire durer ses vignes ?
A. D. :
Il est difficile d’anticiper le changement climatique : il ne s’agit pas uniquement d’une hausse régulière des températures, mais des à-coups entre années, impossibles à prévoir. À plus long terme, je pense qu’il est essentiel de bien gérer la vie des sols, trop longtemps négligée. D’une part, parce que la matière organique retient l’eau, d’autre part parce qu’il n’y a pas de pérennité de la vigne sur des sols morts. Et face à ce climat « déréglé », il faut faire preuve de flexibilité, cesser tout dogmatisme.

(1) www.wineaustralia.com/news/articles/drape-and-protect

Article paru dans Viti Leaders n°463 de septembre 2021

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