Jean Saric, vigneron et chirurgien spécialiste du foie : « Je suis pour une éducation au savoir-boire le vin »

Jean Saric

Jean Saric, chirurgien et viticulteur, fondateur de la transplantation hépatique à  Bordeaux. Il est photographié chez lui à Lugasson dans la propriété familiale.

Crédit photo DR
Le professeur Jean Saric est chirurgien, spécialiste du foie, et vigneron dans l’Entre-deux-Mers au Château Turon La Croix. Il plaide pour une approche plus complexe des consignes « justifiées » de modération, loin des discours généralistes, et pour une éducation au « savoir-boire ».

>>> Jean Saric, vous êtes vigneron et chirurgien spécialiste du foie. Vigneron et docteur de grand-père en petit-fils ! Vous êtes donc au cœur des problématiques alcool et santé, qui n’avancent pas forcément main dans la main. Comment voyez-vous cela ?
Jean Saric :
40 000 morts liées à l’alcool sont annoncées officiellement… Mais ce chiffre ne vient d’aucune une étude des causes réelles de décès. Cela provient d’études statistiques. Quand vous discutez avec les gens qui produisent ces chiffres, ils vous parlent coefficient correcteur et méthode de calcul.

Ils disent que le plus important est de faire passer un message en se servant de la peur de la mort et de celle du cancer. Vous comprenez alors que les chiffres sont très discutables et très imprécis, puisqu’ils ne tiennent pas compte des cofacteurs qui font toute la gravité de la toxicité alcoolique.
L’alcool est à la fois un plaisir, un remède et une maladie. Et le vin est un alcool comme les autres. La molécule d’éthanol contenue dans toute boisson alcoolisée est la même dans la bière, dans le vin ou dans une distillation, plus ou moins concentrée.

Je ne peux pas défendre la consommation de vin sans dire que l’alcool dans le vin est toxique, mais cette toxicité est variable d’un individu à l’autre. Aujourd’hui, on ne réfléchit pas la complexité…

L’objectif est pour chacun, à chaque période de sa vie, d’apprendre à se situer pour conserver le plaisir, garder le remède et éviter la maladie.

Coup de gueule

« Contre les Jacobins qui nous dirigent. Je suis un Girondin dans l’âme… et je trouve insupportables les règles généralistes, culpabilisantes, notamment par les gens qui se chargent d’addiction. Qu’ils parlent du désir de vivre avant de mentionner le risque de mourir ! J’ai le même objectif qu’eux : je me bats aussi contre les dépendances, mais avec une autre méthode, plus épicurienne. »

>>> De quelle toxicité parle-t-on ?
J. S. :
Il y a deux toxicités pour un buveur d’alcool : celle qu’il fait courir à lui-même et celle qu’il fait courir à autrui (homicide, accidentologie, violence, alcoolisation fœtale). Mon propos aujourd’hui est de ne s’intéresser qu’à la toxicité pour soi-même. Le soleil, par exemple, est toxique : cela cause des cancers cutanés. Cependant, il est agréable de se hâler le teint, en se protégeant. Suivant la qualité de votre peau, si vous êtes blond ou brun, le temps d’exposition au soleil n’est pas le même. Il existe donc une dose toxique personnelle variable d’un individu à l’autre. Nous pouvons raisonner la consommation d’alcool exactement de la même façon.

>>> La modération est-elle un bon conseil ?
J. S. :
Ce qui m’agace, ce sont les règles générales données à tout le monde, qui ne conviennent à personne ! La règle générale d’une consommation modérée pour tous est inadaptée. Certaines personnes peuvent boire avec excès et sans danger. C’est parfaitement démontré.

Nous connaissons tous des centenaires dans des villages qui boivent plus que la normale et qui ne sont pas malades. Cela prouve bien que la dose toxique, pour eux, est très élevée. Alors que d’autres meurent plutôt jeunes en n’ayant consommé peu d’alcool…

Ceux-là sont donc plus fragiles et le conseil général de modération ne répond pas à chacune des situations personnelles.
Vous ne pouvez-pas donner des conseils de consommation à des personnes qui sont dans la dépendance complète et les mêmes conseils à d’autres, non dépendantes. Celui qui est dépendant à l’alcool l’est à une drogue. Si vous lui supprimez l’alcool, il ira vers une autre béquille. Son problème n’est pas la prise du toxique, mais le pourquoi de la prise.

Innovation

« J’ai vécu les progrès des transplantations d’organes. L’invention des immunosuppresseurs est fantastique. Je me réjouis de notre puissance médicale. Il a fallu des centaines d’années pour traiter la peste et la tuberculose, quelques dizaines d’années pour trouver des antiviraux contre l’hépatite C et le HIV. Pour le Covid-19, nous trouverons rapidement. La puissance des intelligences mises en commun est fabuleuse ! »

>>> Quels conseils donner, alors ?
J. S. :
Je considère qu’il faut donner des conseils adaptés à chacun et c’est plus le travail du médecin généraliste, qui connaît bien son patient, que celui de l’État.

Je préfère choisir une éducation au « bien boire », tout comme on le fait pour le « bien manger ». En voici les principales règles  :

  • faire attention à la dose d’alcool prise, sa régularité, ses excès ;
  • se modérer si la prise d’alcool est quotidienne, depuis longtemps ;
  • respecter des périodes de vacances hépatiques;
  • toujours boire en mangeant ;
  • choisir une qualité d’alimentation à base de fruits et de légumes, d’huile d’olive, de poissons, de viandes blanches, etc. ;
  • pratiquer une activité physique quotidienne ;
  • ne pas être en surpoids, et éviter surtout l’obésité abdominale ;
  • ne pas avoir de maladie génétique du foie ;
  • et ne pas avoir de tabagisme associé.

L’ensemble des règles précédentes, leur compréhension et la capacité de les faire siennes dépendent aussi des niveaux d’insertion dans le monde du travail et de la qualité des réseaux amicaux, professionnels et familiaux.

Rendez-vous

« Chaque année, j’organise une rencontre “Vin et santé, vérités et paradoxes” à la Cité du vin à Bordeaux. Cela se déroule le premier samedi de chaque mois de février. J’y réunis des philosophes, des médecins, des addictologues, des psychologues, des sociologues, des historiens… Nous réfléchissons ensemble aux règles du “bien boire”. »

Œnologie

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15