Le cava, bientôt nouvelle marque de luxe ?

Les parcelles spécifiques dans la région de Penedès sont clairement limitées et réglementées par le DO Cava. Credit photo : Carlos Parrodi

Les producteurs et ambassadeurs du populaire vin effervescent espagnol en sont conscients : pour gagner des parts de marché sur un segment très concurrentiel mais néanmoins toujours en progression grâce à une faible élasticité de la demande au prix et un engouement toujours aussi prégnant des consommateurs du monde entier pour les bulles il leur faut modifier l'image de leur produit, et rapidement. Afin de se lancer de manière crédible sur le marché des effervescents premium, une nouvelle appellation d'origine a ainsi été créée en 2015 : cava de "paraje calificado", peut-être de quoi donner un nouveau souffle à la marque espagnole.

 

Des milliards de bulles

En 2016, alors que les échanges mondiaux de vin se fixent autour de 104 millions d'hectolitres (soit un repli de 1,2% par rapport à 2015 selon l'Organisation internationale de la vigne et du vin), les effervescents gardent le vent en poupe avec des volumes de 7,9 millions d'hectolitres (soit une hausse de 7%). C'est avant tout le prosecco italien qui voit ses ventes atteindre des records, franchissant pour la première fois la barre du milliard d'euros de chiffre d'affaires. Les ventes de champagne quant à elles se tassent, s'établissant à 306 millions de bouteilles pour 4,7 milliards d'euros, conséquence s'il en faut de la baisse sèche des exportations vers l'Angleterre, suite au Brexit.

Et qu'en est-il du cava ? Chaque année, plus de 240 millions de bouteilles de cava sont vendues dans le monde. 2016 marque également un record pour les ventes de cava avec 245 millions de bouteilles, soit une progression de près de 2% par rapport à 2015. Si quelque 250 domaines produisent le précieux liquide, ce sont bien deux poids lourds du secteur qui font le marché: Freixenet et Codorniu. Avec une production respectivement de 96 et 48 millions de bouteilles, ces deux entreprises restent aujourd'hui les plus grands producteurs en volume de vin effervescent... au monde! D'ailleurs pour la petite histoire, c'est la société Freixenet qui inventât le système de gyropalette au début des années 1970, une innovation révolutionnaire pour le marché des effervescents de masse, made in Catalogne!   

Le vieillissement des bouteilles dans les caves Segura Viuda à droite, tandis que sur la gauche ils sont transportés vers la ligne d'embouteillage. Credit photo : Carlos Parrodi

 

Des origines au renouveau : l'Histoire du cava

Les premiers vins effervescents furent élaborés en Espagne aux alentours de 1872. Ils furent mis au point par José Raventos, à la tête du domaine Codorniu. À l'époque, les vins étaient élaborés selon la méthode traditionnelle, Charmât ou encore par gazéification. Ils étaient indistinctement appelés "champagne". Le nom "cava" fut choisi de façon presque accidentelle en 1959, alors que la France exigeait de l'Espagne qu'elle cesse d'utiliser la terminologie "champagne" pour désigner son vin effervescent. En espagnol, "cava" signifie cave et les consommateurs se référaient au cava en ces termes: "le vin effervescent vieilli en cava". C'est donc naturellement que le nom "cava" fut choisi et officialisé en 1970. Depuis cette date, le cahier des charges de l'appellation établit que le cava doit être élaboré selon la méthode traditionnelle.

Bouteilles en attente de vieillissement dans une cave. Credit photo : Sandra Rome

 

Ce qui fait la particularité du cava, c'est bien sur son terroir, mais également les cépages dont il est issu. Alors que le champagne est élaboré à partir de chardonnay, pinot noir et pinot meunier, le cava est quant à lui produit essentiellement à partir de cépages autochtones : macabeo, xarel-lo et parellada, chaque cépage apportant sa touche à l'harmonie de l'ensemble.

Il existe à ce jour 3 niveaux de qualité parmi les cava : "cava", "cava reserva" ou "cava gran reserva" selon que le vin a été élevé 9, 15 ou 30 mois minimum sur lies avant dégorgement. Le cava gran reserva se doit en outre de répondre à des critères plus stricts de qualité, notamment au niveau analytique et organoleptique, et est toujours issu de la récolte d'une seule année de production. 

L'étiquette de Recaredo aux caves de Recaredo. Credit photo : Sandra Rome

 

En 2014 une nouvelle classification de cava fut envisagée: le cava de paraje calificado. La DO "cava" souhaite regrouper dans cette catégorie les cava produits à partir de parcelles reconnues pour leurs conditions climatiques et leur terroir exceptionnel et répondant à un cahier des charges strict, gage de qualité exceptionnelle. Ainsi, pour prétendre à la classification, les cavas élaborés à partir des parcelles "préqualifiées" doivent provenir de vignes de minimum 10 ans d'âge, les vendanges doivent être manuelles, le tri sélectif, les rendements limités à 48 hectolitres par hectare. Les cavas doivent en outre être élevés minimum 30 mois sur lies avant dégorgement. Enfin, deux analyses organoleptiques auront lieu : l'une avant embouteillage, l'autre avant commercialisation. L'objectif est clair : produire un cava de très grande qualité, nouveau porte-drapeau de la "marque" cava à l'étranger.

Les premières bouteilles de cava de paraje calificado devraient arriver sur le marché d'ici fin 2017. Plusieurs producteurs de renom présenteront leur vin pour obtenir la classification. Parmi eux, citons Codorniu, Recaredo, Torello et Gramona À moyen terme, cette catégorie devrait représenter quelque 2% des cava gran reserva.

Quelles perspectives d'avenir pour le cava?

Pedro Bonnet, président du Consejo regulador del cava, porte un regard lucide sur le marché:

Au cours des deux derniers siècles dit-il, le champagne s'est fait une place et une image sur le marché premium grâce à ses marques prestigieuses. Le cava par contre s'est positionné comme alternative d'entrée à moyenne gamme, bien représenté en volume grâce à un réseau de distribution efficace et moderne, mais sous-représenté en valeur. Et cette stratégie a clairement pénalisé le cava en termes d'image à long terme.

Pourquoi le consommateur paierait-il le prix d'un champagne pour un cava ? Comment le cava peut-il devenir un produit "premium" ? La réponse se trouve d'après lui dans la nouvelle classification cava de paraje. En misant sur la qualité au détriment du volume, sur le terroir, sur la particularité, la singularité du produit, plutôt que sa standardisation.    

 

Bouteilles en attente de vieillissement dans une cave. Credit photo : Sandra Rome

La clé du succès du cava ne réside pas dans la production d'une pâle copie du champagne, mais dans celle d'un vin ayant sa propre personnalité, et son propre public. Les cava haut de gamme possèdent des caractéristiques uniques et un haut potentiel de qualité, néanmoins jusqu'à récemment peu de consommateurs en avaient conscience. Si aujourd'hui 12% des cavas sont rangés dans la catégorie des cava premium selon Pedro Bonnet, l'objectif est de monter à 20%, notamment grâce à la nouvelle classification qui devrait encourager les producteurs à viser l'excellence et être mieux reconnus pour la qualité de leur produit.

Pour les producteurs de demain, le challenge sera de parvenir à modifier la perception du cava auprès des consommateurs. Il y aura toujours de la place sur les étagères des supermarchés pour des vins effervescent sympas, fruités, et peu complexes. Mais il y aura aussi de la place pour des cavas premium plus recherchés et confidentiels. Ceux-là deviendront, espérons-le, les pairs plutôt que les concurrents du champagne. Une belle alternative sur un marché excitant et toujours aussi en vogue.

Sandra Rome et Carlos Parrodi, étudiants OIV MSc in Wine Management, Promotion 29

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