Enrouler plutôt qu’écimer

Pour contenir la vigne durant la période de croissance végétative, sans couper les rameaux, des vignerons optent pour l’enroulement. La technique, surtout mise en place sur des domaines en biodynamie, s’envisage sur des vignes à la vigueur contrôlée et lorsque le rendement visé est modéré.

«Depuis 2001, les vignes du domaine ne sont plus écimées, introduit Olivier Humbrecht, du domaine Zind Humbrecht, Turckheim (Alsace). Sur des vignes à la vigueur maîtrisée comme les nôtres1 et si l’on se base sur le cycle physiologique naturel de la plante, le fait de ne pas couper les apex permet un arrêt de croissance bien marqué et plus précoce. La vigne croît jusqu’au dessèchement du bourgeon apical sans initier des bourgeons latéraux. Le feuillage se développe en hauteur mais pas en épaisseur. En arrêtant l’écimage, nous avons donc aussi arrêté le rognage. Mais cela n’empêche pas de palisser la vigne ; d’où la pratique de l’enroulage. Selon les millésimes et les vignes, nous tressons les rameaux entre eux et avec le dernier fil du palissage. »

Une maturité plus homogène

« Notamment sur les cépages blancs alsaciens, nous cherchons une maturité homogène, des vins frais avec une belle acidité, continue le vigneron qui a converti le domaine en biodynamie en 1998. Ne pas écimer y contribue car une véraison précoce et homogène entraîne une maturité physiologique plus précoce. Nous avons donc la possibilité de récolter plus tôt. »

Pour vérifier, ce que l’expérience des années semblait montrer, Olivier Humbrecht a réalisé des essais en 2005, un millésime chaud mais pas sec. Les modalités « écimage 10 jours avant fleur », « pendant fleur », « écimage 10 j après fleur », « écimage tardif – le plus proche possible de la chute des apex » et « non-écimage » ont été comparées. « Si l’on prend le cas du riesling, l’acidité totale sur le moût issu de vigne non-écimée était la même que celle issue de vigne écimée avant floraison. Mais les proportions d’acide malique et tartrique étaient très différentes. Sur la modalité "non écimée", il y avait 2/3 d’acide tartrique et 1/3 de malique. L’équilibre était inversé par l’autre modalité. »

La voie de biosynthèse de l’acide tartrique n’est pas encore bien connue mais l’on sait que ce dernier est produit dans tous les organes jeunes, feuilles et baies, lors de la multiplication cellulaire. Le fait que la vigne conserve toutes ses jeunes feuilles sur la modalité non-écimée pourrait expliquer le résultat.

« Après FML, le vin issu de vigne non écimée garde plus d’acidité. Toutes les autres modalités présentaient des niveaux d’acidité inférieurs. Il faut aussi noter qu’à acidité égale, la modalité écimage précoce n’avait pas une maturité "sucre" satisfaisante. Une récolte plus tardive aurait probablement aussi entraîné une chute de l’acidité », estime le vigneron qui constate que la modalité « écimage le plus proche possible de la chute des apex » était aussi intéressante.

L’enroulage se pratique de deux façons sur vignes palissées. Les rameaux peuvent être enroulés entre eux ou sur le dernier fil. Installé depuis deux ans sur 1,2 ha, Adrien Bouzonville, domaine Les Hulottes (Loire-Atlantique) met en place les deux méthodes. « Sur le cabernet-franc et le gamay, deux cépages au port érigé, les rameaux retombent peu. S’ils viennent trop haut dessus de mon dernier fil à un mètre du sol, j’enroule les sarments des pieds voisins entre eux pour créer des arcures dont le sommet est à environ 1,50 m du sol (A). Sur le pinot gris, au port tombant, je privilégie l’enroulage sur le fil (B). »

Photo : Adrien Bouzonville

Le château Palmer teste aussi le non-écimage

Au Château Palmer, dans le Médoc, l’enroulage n’est pas encore adopté mais fait l’objet d’une attention particulière. « Traditionnellement, les vignes sont écimées lorsque la végétation dépasse d’une vingtaine de centimètres le dernier fil du palissage posé à 1,10 mètre de hauteur. Depuis 2013 et la conversion de la propriété à la biodynamie, le non-écimage et l’enroulage des rameaux sont expérimentés sur des rangs de merlot et de cabernet-sauvignon, indique Sylvain Fries, responsable R&D du château.

« Des arcures sont faites en enroulant les rameaux entre eux de manière à ce que l’enjambeur n’ait pas de problème à passer. En biodynamie, les apex des rameaux sont considérés comme le "cerveau", la mémoire du cep, ainsi la capacité de la vigne à réagir aux stress climatiques et aux agressions cryptogamiques est meilleure que sur les vignes écimées. Sur trois ans, les analyses statistiques comparant les modalités écimées à celles enroulées montrent que la technique n’a pas d’impact sur le rendement2 mais un effet bénéfique sur la gestion qualitative de la contrainte hydrique par la vigne, que ce soit sur les parcelles ayant une bonne ou une faible réserve utile. La résistance aux maladies cryptogamiques a été également significativement améliorée, notamment pour le mildiou sur grappe.

L’arrêt de croissance de la vigne se manifeste par le redressement du bourgeonnement apical, son dessèchement et sa chute ; environ 90 à 120 jours après le débourrement.

« Autre constat, contrairement à ce que l’on pensait, les vignes non-écimées ne développent pas moins d’entre-cœurs pour l’instant. En revanche, les feuilles de la zone fructifère tombent plus rapidement, ce qui fait que malgré la présence d’entre-cœurs, les grappes restent aussi bien aérées sur les rangs où nous pratiquons l’enroulage que sur les rangs écimés et échardés. Au final, sur trois des quatre parcelles expérimentales, nous observons une différence significative sur la date de véraison. Elle est plus précoce sur les blocs non-rognés. Les maturités techniques et phénoliques sont aussi meilleures ; elles sont atteintes plus tôt (3-4 jours) et les concentrations en sucres et en anthocyanes sont plus importantes. »

Les essais, qui se poursuivent en 2017, sont cette année complétés par des micro-vinifications et par une étude économique afin d’estimer les temps de travaux nécessaires. « Selon les résultats 2017, nous réfléchirons à enrouler progressivement les 66 ha du château. »

(1) Domaine Zind Humbrecht : objectif de rendement à 30-40 hl/ha.
(2) Château Palmer : rendement visé à 40 hl/ha.

Une question d’hormones
Traditionnellement, l’écimage est mis en place, après la floraison, pour favoriser la nouaison et limiter coulure et millerandage. En effet, pendant la période de croissance, une concurrence pour les métabolites issus de la photosynthèse s’exerce entre les organes végétatifs en croissance et les inflorescences. Si les apex restent en place, la priorité est donnée aux organes végétatifs jusqu’à la fin de leur croissance. Le fait de les couper permet de re-diriger les flux de sève vers les grappes en formation. Mais l’écimage a une autre conséquence : il lève l’inhibition des bourgeons latéraux. Les entre-cœurs se développent et trois semaines après l’écimage de nombreux vignerons optent pour le rognage.
L’auxine, une hormone synthétisée par les plantes, explique en grande partie les réactions de la vigne après l’écimage. L’auxine favorise la croissance en longueur des cellules. Dans un même temps, elle s’oppose au débourrement des bourgeons latéraux. La synthèse de l’auxine s’effectue dans les apex des tiges, dans les méristèmes et jeunes feuilles des bourgeons terminaux. L’écimage, en réduisant la synthèse d’auxine, modifie les balances hormonales de la plante.

Article paru dans Viti hors-série Les Enjeux de mai 2017

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