Non, la bulle n’est pas une mode !

Photo : DR

L’an dernier nous nous étions posés la question pour le vin tranquille et avions tranché que l’augmentation fulgurante de l’intérêt pour le rosé n’était pas une mode mais une vraie tendance de fond propre à durer sur le long terme (http://bit.ly/2qQ2ohQ).

Posons-nous la question pour les vins effervescents.

Là-aussi nous observons une demande en explosion. Sur les dix dernières années la production mondiale a augmenté de 40 % en passant de 5 à 7 % de la production mondiale de vin pour représenter 18 Mhl, soit 1,06 milliard d’équivalent bouteilles. La production est largement européenne avec les deux-tiers produits par quatre pays : la France (585 millions de cols), l’Allemagne (389 M), l’Italie (383 M) et l’Espagne (219 M). Dans cet univers le champagne domine le marché mondial en valeur (40 %), mais s’est fait souffler la première marche du podium en volume par le prosecco italien. Une révolution est en marche. Essayons de comprendre !

Qu’évoque la bulle ?

La bulle est le support des sensations et de la libération des arômes du vin dans la bouche. Le physicien Gérard Liger-Belair nous apprend qu’il y en a plus d’1 million par verre ! Elles sont mystérieuses, fugitives et ont leur vie propre : elles naissent, remontent à la surface puis éclatent, sublimes messagères d'un moment de plaisir évanescent. Le philosophe Michel Onfray explique que c’est "une boisson festive qui rappelle à l’homme qu’il est mortel" ; que nous ne sommes "rien dans le grand tout ", que nous sommes "bulles destinées à éclater dans l’infini". Elles rappellent, que nous aussi, nous naissons et nous mourons et sommes, comme elles, fragiles, libres et éphémères.

La bulle "éclate" facilement et rapidement. L’éclatement est aussi riche en symboles : on éclate de joie, de rire et parfois en sanglots. S’éclater, c’est aussi faire la fête et ceci explique le lien étroit entre le champagne, la fête et le luxe. 

Dans le monde des rêves, les bulles symbolisent la fantaisie, les ambitions et parfois, le rejet de la réalité : "être dans sa bulle" (avec un rappel inconscient au ventre maternel). Le symbolisme de la bulle, en ce sens, dérive de sa forme sphérique, qui manifeste une perfection astrale, universelle, une souveraineté, une protection.

Jean-Paul Kauffmann parle du champagne comme "ce fils de l'air", "cette impulsion vers le haut que souligne la bulle et qui lie le champagne à l'image du froid, des hauteurs, de la pureté". C’est que oui, la bulle monte et part vers l’infini et qu’une certaine "ivreté1" peut faire "planer" ou "élever l’esprit". En ceci les vins effervescents ont quelque chose de spirituel. Le bulles évoquent l’infini. Les Anglais ne parlent-ils pas de "mystic of wine" ? Ingrid Astier, dans Le goût du champagne nous dit que ce "breuvage fait partie de ces données terrestres vouées au céleste". Le vin en général et le champagne en particulier participent à l’ascension sociale.

La bulle évoque aussi la légèreté et la pétillance, l’effervescence, l’énergie, la vie comme un "regard qui pétille" d’intelligence, de joie ou de plaisir. C’est que le champagne (et à côté de lui tous les effervescents) est un vin sensuel, le seul à toucher nos cinq sens, car  son pétillement fait du bruit et avant lui, le bruit du bouchon qui saute attirant toute l’attention au moment du jaillissement de son écume. Il est si sensuel qu’il accompagne volontiers les moments de séduction ou d’amour, des plus tendres aux plus effervescents. Il est aussi le vin de la conquête, de la victoire, de ces sportifs qui fêtent leurs succès en aspergeant avec puissance la foule du jet de leur bouteilles.

La bulle dans l’air du temps ?

Après cette analyse symbolique passons à l’analyse sociologique. Dans l’article sur le vin rosé évoqué en introduction, en nous basant notamment sur les travaux du professeur Michel Maffesoli, nous expliquions que nous vivons un changement mondial et radical de société avec des ruptures équivalentes à celles entre la période antique et le Moyen Âge ou à celle entre le Moyen Âge et l’époque "moderne". Nous rentrons (sans doute pour une très longue période) dans la "post-modernité" qui se traduit par un regain de centrage de l’individu sur lui-même et sur le présent, "ici et maintenant" comme le disent les sagesses orientales. Nous ne sommes sûrs de rien pour l’avenir, alors vivons au présent ! En découle une forme d’hédonisme, de recherche du loisir, du ludique, du plaisir, de la rencontre, de la fête (la plus fréquente et informelle possible) qui permet de "sur-vivre" dans un monde souvent difficile. Chacun devient un "enfant éternel" (comme Dionysos). On est dans l’émotionnel, concept opposé au "rationnel" qui caractérisait la "modernité". L’époque se féminise et s’orientalise. Les choses deviennent éphémères, changeantes, inattendues. Il faut se faire plaisir et cela se combine parfaitement bien avec les vins effervescents, si frais, faciles à boire, festifs avec leurs bulles joyeuses, fragiles et fugitives. En plus, la planète se réchauffe à vue d’œil et boire frais et pétillant est tellement rafraîchissant !

Donc, nous y voilà, tout ceci nous montre que l’attrait pour les vins effervescents n’est pas près de s’arrêter. Il devrait durer le temps du post-modernisme, donc probablement plusieurs siècles. Nous ne sommes donc pas dans un effet de mode, mais bien dans une tendance de fond inscrite sur le long terme.

La Champagne ne doit, pour autant, pas se reposer sur ses lauriers. La "fête de tous les jours", informelle et décontractée, pousse plus à la consommation de vins "faciles", "fruités", "doux" et peu chers. Elle entraîne une banalisation de la bulle qui sied mieux à des productions de prosecco ou autres cava qui se taillent la part du lion sur les marchés, même en France. Une fois de plus, la Champagne va devoir se réinventer !
 

(1) "L’heureuse ivreté" : état intermédiaire, assez fugitif ou éphémère, situé entre la sobriété et l’ivresse. L’"ivreté" est un état fragile parce qu’instable, proche de la griserie et juste au bord du précipice de l’ivresse. Comme le dit Onfray, "boire est un art" !


James de Roany, Gérant de Global Vini Services

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