Et si le BRF remplaçait le glyphosate sous le rang des vignes?

Pour éviter de désherber sous le rang, Frédéric Bourgoin vient de mettre en place un essai de 30 ares en BRF (bois raméal fragmenté) dans ses vignes à Saint-Saturnin, à côté de Cognac. Durant deux ans, il va voir l’impact, positif ou non, du BRF sur les adventices et la vigne.

Expérimenter pour s’améliorer. Voilà le leitmotiv de Frédéric Bourgoin, jeune vigneron installé sur le domaine familial à Saint-Saturnin, à côté de Cognac, livreur pour Hennessy et Martell. Sur 30 ares de vignes, il a apporté en janvier 2017 une couche de BRF, ou bois raméal fragmenté, sur le cavaillon. Objectifs : lutter de façon écologique contre l’enherbement, mais aussi favoriser la rétention d’eau, intensifier la vie du sol et augmenter l’effet terroir sur cette parcelle calcaire au sous-sol du jurassique.

« Sur nos 90 ha de vignes, nous désherbons le cavaillon mécaniquement pour les vieilles vignes et chimiquement pour les jeunes plants. Nous cherchons à faire évoluer nos pratiques. La réglementation nous amène à réduire l’emploi de phyto et il est important d’avoir une gestion durable et écologique de nos vignes », insiste Frédéric Bourgoin. Depuis 2012, l’appellation Cognac est engagée dans un plan de viticulture durable. L’enherbement du plein rang ou le travail mécanique du sol sont fortement conseillés. Pour la zone sous le rang, beaucoup utilisent encore le glyphosate. « Enherber l’ensemble de la parcelle conduirait à une concurrence hydrique trop forte pour nos petites terres asséchantes. Nous enherbons un rang sur deux. Pour l’entretien du cavaillon, il y a bien les outils mécaniques, mais en plus du coût du carburant et du coût humain, il y a le risque d’abimer les pieds de vignes, surtout les jeunes plants. »

Approche pédologique

Voulant trouver des solutions alternatives, le jeune vigneron rencontre, en 2014, Claude Bourguignon au Château de Pommard et découvre son approche pédologique de l’agriculture. Il étudie aussi la méthode canadienne de Jean Pain, appliquant les principes de l’agroforesterie.

Le peuplier semble le plus intéressant, car il ne contient pas de tannins acidifiant les sols, et a une forte capacité à la rétention d’eau.

« La technique du BRF m’a semblé très intéressante pour la vigne. Sur Cognac, je suis le seul à la pratiquer. Je me suis rapproché de Futurobois, l’interprofession de la filière bois, pour prendre contact avec des acteurs locaux et valoriser leurs déchets de bois. » Trois essences d’arbres sont essentiellement travaillées sur la région : peuplier, chêne et châtaignier. Les plaquettes (P45) issues du broyage des restes de branches et d’écorces sont destinées à la filière bois énergie. Les plaquettes de peupliers, avec 60 % d’humidité, y sont cependant moins bien valorisées, devant être séchées et mélangées avec d’autres essences. Une aubaine !

Plaquettes de peuplier

« Pour le BRF, c’est justement le peuplier qui est le plus intéressant, car il ne contient pas de tannins acidifiant les sols, et a une forte capacité à la rétention d’eau », développe Frédéric Bourgoin. Après avoir sollicité plusieurs producteurs locaux de plaquettes, c’est la société Martin & Fils à Saint-Ouen-la-Thène, qui a répondu favorablement. « Ils ont accepté de nous fournir 50 m3 de plaquette de peuplier P45 gracieusement pour notre expérimentation. Sinon le coût aurait été de 15 euros du m3 environ. »

Sur la même parcelle, l’essai avec et sans BRF permettra de comparer les intérêts de cette pratique sur l’enherbement et le développement de la vigne.

Le mulch de bois fragmenté a été apporté en fin d’hiver sur le cavaillon, avec une épaisseur de 12 cm, sur 40 à 50 cm de large. « L’épaisseur de 12 cm permet d’empêcher la lumière de pénétrer jusqu’au sol et limite ainsi la germination des adventices. »

Un ancien semoir à engrais organique du domaine a été modifié pour apporter les plaquettes aux pieds des vignes, même si Frédéric et son père reconnaissent que la tâche a été assez contraignante vu le volume à traiter.

L’apport de BRF doit se faire en automne ou hiver, et non au printemps ou en été car la dégradation de la lignine par les micro-organismes entraînerait un risque de carence azotée.

Au-delà du bénéfice pour maîtriser les adventices sous le rang, Frédéric Bourgoin note trois autres intérêts : augmenter la capacité du sol à retenir l’eau, surtout avec des épisodes de sécheresse fréquentes et problématiques pour ces terres de groies superficielles ; intensifier écologiquement la vie du sol ; et obtenir une fertilisation naturelle via la décomposition de la matière organique. « Le bois fragmenté offre un milieu naturel propice aux insectes auxiliaires intéressants pour la vigne, comme les hyménoptères, parasites des tordeuses. »

Deux années pour observer

Il compte sur deux années minimum avant de se prononcer sur l’intérêt réel du BRF sur le cavaillon. « Il se peut que le BRF attire aussi des insectes et des champignons nuisibles. Quant aux adventices, certaines vivaces comme les ronces pourraient pousser malgré tout au travers, obligeant à réaliser un désherbage manuel », reconnaît Frédéric Bourgoin.

Le calcul économique est aussi à prendre en compte. « Si pour l’essai, les plaquettes étaient gratuites, il faudra regarder la rentabilité d’un achat de plaquettes, avec des volumes importants. Au-delà du coût monétaire, c’est l’enjeu environnemental qui prime. Nous sommes face à un choix de société, et le consommateur ne veut plus entendre parler de glyphosate. L’utilisation d’herbicides sera proscrite à court ou moyen terme. Il faudra donc trouver impérativement une solution alternative », termine le jeune vigneron.

Bourgoin Cognac
Pour le cognac Bourgoin, pas d’assemblages,  de filtrations, de coloration, ni de sucrage.

Des cognacs « natures » élevés
en micro-barrique

Après avoir lancé le blog Spiritueux Magazine en 2012, Frédéric Bourgoin met aujourd’hui toute son énergie dans l’élaboration de ses propres cognacs. Parmi les eaux-de-vie du domaine familial, le vigneron a sélectionné des cognacs millésimés de 1994 qu’il a ensuite élevé dans des micro-barriques de 10 l, soumises à une chauffe très forte (chauffe crocodile). Ici, pas d’assemblages, pas de filtrations, pas de coloration, ni de sucrage. Juste un protocole secret, où la réduction à 43 %vol. se fait à l’eau de pluie distillée « pour optimiser la portance aromatique » et où l’embouteillage est effectué à la main en quadrature de lune, par gravité, « pour bénéficier au mieux de la mécanique des fluides ».
Déjà 2 500 flacons de 35 cl ont été produits, diffusés à 60 euros. Des cognacs de terroir, premiers bois, destinés aux cavistes passionnés, à la restauration de qualité et à la haute mixologie.
Si Frédéric Bourgoin ne désire pas augmenter les volumes mis à la vente, il souhaite poursuivre sa démarche, afin de « mieux faire redécouvrir le cognac au consommateur français. »
Photo prise en mai 2012 sur la modalité BRF feuillus  à 13,5 kg/pied sur une surface de 1,20 m². Photo : CA16
Chambre d’agriculture de la Charente
Comparaison de mulch de BRF

Entre 2010 et 2012, la chambre d’agriculture de la Charente et AgroBio Poitou-Charentes ont comparé des mulch de différents BRF sur le cavaillon : feuillus à différentes densités (3, 10,8 et 13,5 kg/pied), résineux à 13 kg/pied. Résultats : le BRF a eu un pouvoir désherbant pour des épaisseurs conséquentes (10 à 13,5 kg/pieds). Le BRF de résineux semblait avoir un effet dépressif sur la physiologie de la vigne et la vie microbienne du sol (lié à la présence de tanins et terpènes). À l’inverse, le BRF de feuillus semblait avoir un effet positif sur le développement de la vigne, en améliorant les réserves hydriques (surtout dans ce terroir de champagne très superficiel). L’essai n’a cependant pas été poursuivi, indique Jean-Christophe Gérardin, technicien viticole à la CA16 : « Des plantes concurrentielles difficiles à éliminer se sont développées sur le cavaillon : liserons, mercuriales et ronces. Aussi, la mise en place du BRF était assez problématique, car il n’existe pas de machine dédiée. » Certains vignerons testent d’autres solutions pour réduire le désherbage sur le cavaillon, indique le conseiller, comme un paillage de copeaux de bois pour limiter l’ensoleillement et isoler la terre, ou encore l’apport de pouzzolane sous le rang (mais coût trop important).

Article paru dans Viti hors-série Les Enjeux de mai 2017

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