Le vin, un produit stratégique pour le Kosovo

Alors que l’on commémore ces jours-ci les 20 ans de la fin de la guerre d’indépendance, qui fit plus de 13 000 morts, le Kosovo se reconstruit et se rapproche de l’Union européenne, en s’appuyant sur des secteurs économiques structurants. La filière vin constitue un enjeu important pour ce pays de longue tradition viticole.

Une filière malmenée par la guerre d'indépendance

Dans ce petit pays entouré de montagnes, de la taille d’un département français, le vignoble est actuellement estimé à 3 200 ha, contre 9 à 10 000 ha avant la guerre. Le conflit a fortement impacté la production viticole, entraînant des tensions interethniques sur les zones de production, de nombreuses victimes et déplacés. Des terres ont été abandonnées, des compétences perdues. De nombreux vignobles et bâtiments de vinification ont été détruits.

Plusieurs milliers de petits vignerons (probablement 4 000 pour les 3 200 ha), producteurs depuis plusieurs générations, âgés et ayant souvent moins de 1 ha, se partagent encore aujourd’hui ce vignoble.

Ils produisent leur propre vin pour une autoconsommation ou vendent le raisin à une trentaine de wineries. Le nombre de vinificateurs est en augmentation chaque année. Cette activité reste principalement aux mains des familles historiques, mais elle voit aussi l'arrivée de nouveaux investisseurs. Pour la filière locale, ces wineries jouent à la fois le rôle d’exploitations vitivinicoles, de coopérative (désormais totalement absentes du paysage viticole kosovar), de négociants et de distillateurs pour la production de brandy.

Cépages autochtones majoritaires

Fortement impacté par un climat continental aux hivers rigoureux (jusqu’à -20°C) et à l'influence méditerranéenne l’été (jusqu’à +40°C), le vignoble est planté aux deux tiers en cépages rouges et un tiers en blanc. On compterait 55 cépages dont 20 cépages internationaux (essentiellement bordelais). Mais en rouge, les cépages majoritaires sont autochtones, vranac et prokupac, en tête, considérés comme les plus adaptés, les plus qualitatifs et les plus respectueux de l’identité des Balkans. Ils permettent de se distinguer sur les marchés à l’export. En blanc, le cépage le plus fréquent est le smederevka, associé à bon nombre d’autres cépages locaux et internationaux comme le riesling et le chardonnay. Les rendements sont estimés à 7-8t/ha en moyenne, mais peuvent descendre à 5-6t/ha pour les exploitations orientées vers des démarches les plus qualitatives, ou monter à 15t/ha pour les gros opérateurs.

Les vignerons Kosovars sont fiers de leur production. Certains n’hésitent pas à affirmer leur identité et leur origine de manière très visible pour exister à l’international.

Deux opérateurs incontournables

Secteur dynamique et en croissance, la vigne reconquiert des surfaces. Les plantations repartent à la hausse avec une préférence pour le raisin de table, qui pèse déjà 25 % des surfaces, au détriment du raisin destiné à la cuve. La forte déprise agricole d’après la guerre laisse actuellement encore en jachère des centaines d’hectares de terres agricoles de beau potentiel, à restructurer et à replanter. Même si la filière reste globalement encore dominée par l’histoire et la philosophie générale de l’ex-Yougoslavie (« assouvir la soif du peuple ») d’une production en grande quantité de vins de faible qualité, le Kosovo a entamé sa mutation vers des vins de meilleurs niveaux qualitatifs.

La production des petites wineries comme Sefa, se révèle très qualitative et médaillée à l’international. Particulièrement avec les cépages autochtones, comme le vranac.

Le paysage économique de la filière est dominé par deux gros opérateurs, en position oligopolistique, Stone Castle (environ 600 ha) et Bodrumi I Vjeter (production évaluée à 4 millions de cols), toutes deux datées de 1953. Anciens combinats (compagnies d’état ayant compté jusqu’à 1 200 ha), privatisées en 2006, ils ont longtemps été orientés vers la production de volumes. Réorganisés, modernisés après des investissements importants, ces deux opérateurs incontournables sont désormais plus tournés vers la qualité et proposent une gamme de vins couvrant tous les segments, de 2 à 60 € la bouteille et tous les canaux de distribution du marché. Face à ces deux leaders, les autres vinificateurs, plus petits, se positionnent sur la niche de marché des vins très qualitatifs ou des produits différents, parfois déjà médaillés à l'international.

La capitale Pristina, fourmille de restaurants, de cafés et de bars à vins branchés, où s’affichent les vins locaux.

Le vin est omniprésent

Avec un salaire mensuel moyen de 200 à 300 €, le Kosovo reste le pays le plus pauvre d’Europe. Et avec seulement 1,8 million d’habitants, à 90 % musulmans, le marché pourrait être qualifié d’étroit, voire de difficile pour le vin. Pourtant il n’en est rien ! Le vin est omniprésent au Kosovo sur les canaux traditionnels de distribution, et particulièrement sur les CHR (cafés hôtels-restaurants), mais aussi avec le développement de lieux branchés dans les principales villes, appuyé par une forte présence publicitaire sur Internet et les réseaux sociaux. Marché ouvert, connecté et important des produits étrangers, il est même très facile de trouver au Kosovo des vins italiens, français, portugais ou macédoniens.

Le vin, seul produit du Kosovo exporté !

Le vin est, pour l'heure, le seul véritable produit d'exportation au Kosovo. L’exportation représente un débouché important pour les vins kosovars, sur les marchés de proximité (Bosnie, Monténégro, Croatie…), mais aussi vers l’Allemagne, les États-Unis ou la Suisse. Ces pays comptent en effet une très forte diaspora, fière de son pays et heureuse de boire un de ses rares produits kosovars achetable à l’étranger.

Une route des vins autour de Rahovec, est déjà proposée aux touristes curieux de découvrir le Kosovo.

Le développement du pays, sa meilleure intégration à la communauté internationale (seule la moitié de l’humanité reconnaît aujourd’hui le Kosovo) et son ouverture au tourisme permettront, à moyen terme, de renforcer le débouché national et la filière. L’œnotourisme pourrait être un nouveau centre de profit pour les wineries. Dotées d’une route des vins, déjà équipées de locaux et ayant déjà une offre oenotouristique structurées, certaines exploitations affichent déjà un millier de visiteurs par an. Malheureusement, compte tenu de l’image internationale du pays, le Kosovo ne peut encore être considéré comme une destination touristique. La fréquentation touristique du pays ne dépasse les 100 000 personnes par an dans le pays. Proches des principaux centres d’intérêt touristiques et déjà positionnés dans tous les restaurants du pays, les vignobles pourraient profiter pourtant réellement d’un développement de ce secteur économique.

Créateur de valeur, d’image et d’emploi, le vin est donc stratégique pour le Kosovo et pourrait servir d'exemple pour le développement d'autres productions agricoles. Le pouvoir politique, bien conscient de cette opportunité, souhaite inscrire le vin kosovar dans les standards internationaux et soutient financièrement l'ensemble du secteur. Le ministère de l’Agriculture kosovar dispose d’un service vin décentralisé, cumulant plusieurs fonctions statistiques, de gestion, réglementaires ou de contrôles physico-chimiques, organoleptiques… jouant le rôle de garant de la qualité des produits mis sur le marché et de garde-fou des pratiques. L’association nationale des vignobles du Kosovo milite, quant à elle, pour une nouvelle loi visant à rapprocher la législation nationale de la réglementation européenne, avec un engagement collectif sur la qualité des vins, la protection des marques, la création d’indications géographiques et en perspective, à moyen terme, l’adhésion à l’Union européenne. Il est donc probable que le développement de la filière vin kosovare suive dans les années à venir, le chemin emprunté par d’autres pays de l’Est de l’Europe, comme la Croatie, la Hongrie ou la Slovénie.

Une culture du vin continue depuis 2000 ans, même sous domination ottomane
Situé dans les Balkans, le Kosovo compte une très longue tradition familiale de culture de la vigne et de production de vin, remontant à l’époque romaine. Même durant la période ottomane, la production de vin et de raki n’a pas été abandonnée. Malgré une islamisation progressive de cette terre chrétienne à partir du 14e siècle, les Ottomans n’ont jamais interdit le vin, bien au contraire. Les personnes non converties devaient d’acquitter de lourdes taxes, à l’occupant musulman pour la vente du vin ! Les monastères orthodoxes ont, quant à eux, toujours possédé des vignes et produit du vin, et conservent toujours en 2019 cette tradition dans les enclaves serbes. Après la Seconde Guerre mondiale, le socialisme yougoslave a nationalisé, rationalisé et orienté la filière vers la productivité et les rendements, pour une production massive, à bas coût. Seuls quelques ares pouvaient être conservés à titre privé pour une production et une consommation personnelle et familiale.

Actualités

Vente

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15