La conquête du continent nord-américain n'est pas terminée pour la vigne et le vin

Au-delà des traditionnelles et bien connues régions productrices, le continent nord-américain fourmille, de l’Atlantique au Pacifique, d'initiatives de développement de la vigne et du vin. Deux tendances fortes se dessinent : l’émergence de nouvelles régions de production et une commercialisation sans limites.

Texas, Colorado, Nouvelle-Écosse, île de Vancouver, Wisconsin, Illinois, grands lacs, Montana, Black Hills du Wyoming, Dakota… la liste de ces noms fait bien plus penser à la conquête de l’Ouest, aux grands espaces et aux mythiques parcs nationaux qu’à la production vitivinicole. Marquées par des hivers très rigoureux, des printemps souvent très arrosés et des étés particulièrement chauds et secs, nombre de ces régions des États-Unis ou du Canada sont longtemps restées vierges de toutes productions et consommation de vin.

Ces territoires semblaient hostiles à la culture de la vigne, ressemblant à des chasses gardées pour la consommation de bière et de bourbon. Et pourtant… Ces immenses espaces davantage habitués au maïs, aux cow-boys et aux bovins, voient depuis quelques années se développer wineries et projets commerciaux originaux.

Un développement boosté par la consommation

Sur le continent de la libre entreprise, le succès international des vins de Colombie-Britannique, de l'Oregon, de Washington ou de l'Ontario semble avoir donné des idées à des agriculteurs et aux investisseurs désireux de se diversifier, de mieux valoriser leurs terres, et de surfer sur un marché en pleine expansion. Facilités par une réglementation des plus souples, les vignobles fleurissent un peu partout sur le territoire et parfois dans des endroits très inattendus.

Parfois encore anecdotique en superficie, cette émergence n’en reste pas moins un phénomène remarquable, portant le nom de « emerging regions ». Au point que l’on estime que les 50 états américains, sans exception, sont désormais producteurs de vin. Seules les provinces polaires du Canada semblent échapper au mouvement.

Vignes dans le nord du Montana, en bordure du lac Flathead.

Le développement de ces nouvelles régions américaines et canadiennes est rendu possible par la combinaison de plusieurs facteurs très favorables. Le principal est la taille du marché et l’augmentation constante de la consommation dans ces deux pays. Cela incite à la production pour satisfaire une forte demande de vin local.

Le vin bénéficie en Amérique du Nord d’une excellente image, d’un engouement certain, voire d’un véritable phénomène de mode. Il est devenu un produit hype dans les classes urbaines des grandes métropoles. La croissance du tourisme sur ce continent vient rendre ce marché encore plus attractif et l’on peut constater une corrélation directe entre la proximité d’une grande métropole (Toronto, Vancouver, Chicago…), ou d’un site touristique particulièrement fréquenté (parcs nationaux), et l’émergence de ces nouvelles régions de production.

Par ailleurs, la taille des pays (États-Unis + Canada = 36 fois la France !), combinée à des microclimats (à proximité des grands lacs, par exemple) et aux premiers effets du changement climatique, ouvre à la production des possibilités sur de nouveaux terroirs, même dans les contrées les plus difficiles.

La vigne repousse ses frontières grâce aux hybrides

Le producteur local a une large liberté dans ses choix techniques. L’encépagement des nouvelles régions nord-américaines est très varié. Repères facilement identifiables pour un consommateur peu connaisseur, les cépages européens adaptés aux climats continentaux, comme le riesling ou le pinot noir, voire des cépages bordelais sous les microclimats les plus cléments, trouvent une large place dans le choix des vignerons locaux.

Mais les hivers pouvant encore être souvent très rudes (jusqu’à - 40°C dans certaines zones du continent), les universités américaines, comme celles de New York, de Cornell ou du Minnesota ont développé des hybrides résistant non seulement aux grands froids (jusqu’à - 36° C) mais aussi aux principales maladies. En rouge, le choix se portera sur le frontenac noir, la marquette, le corot noir, la petite pearl ou le baco noir. En blanc, les principaux hybrides utilisés sont le seyval, le vidal, la crescent, le frontenac gris ou l’edelweiss. De profils aromatiques très variés, ils produisent souvent des vins très différents des cépages internationaux et attirent la curiosité du consommateur peu connaisseur ou avide de nouveautés moins standardisées.

Certains producteurs se sont même lancés dans la production de vin sans raisin ou en assemblage avec plusieurs fruits (raisin plus airelle ou cerise, par exemple). La législation locale permet tout de même l'appellation "vin", à partir du moment où le mode d’élaboration qui lui correspond est appliqué à des mûres, à des framboises ou à des cerises.

Du vin sans raisin ou en assemblage avec plusieurs fruits pour compléter une gamme : c’est possible aux États-Unis, en raison d'une législation particulièrement souple.

Traditionnelles régions productrices, la Californie, l'Oregon et Washington ne sont pas en reste et trouvent matière à expansion sur de nouveaux terroirs, en périphérie des zones habituelles, repoussant ainsi leurs propres frontières. On y plante là aussi de nouveaux cépages, on y essaie de nouveaux lieux, de nouveaux assemblages, on y rivalise d’imagination en marketing, et on joue de plus en plus la carte de l’environnement pour maintenir une dynamique commerciale, trouver des relais de croissance et rappeler au consommateur son existence.

Que ce soit en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique ou même en Nouvelle-Écosse, les Canadiens, par le système VQA (Vintners Quality Alliance), calqué sur la réglementation européenne des AOC, semblent plus tentés par une différenciation avec la garantie de l’origine et d’une qualité supérieure.

Les producteurs de la péninsule Olympic, près de Seattle, ne ménagent pas leurs efforts pour se différencier au niveau des étiquettes et de la communication.

City wineries et rooftop : des lieux branchés pour vendre le vin, devenu un produit branché !

Au regard des investissements consentis, ces nouveaux vins, différents et chers à produire, arrivent sur une niche de marché avec un positionnement haut de gamme. À l’image des bières hand crafted et dans le sillage du succès mondial des microbrasseries (concept initié par les États-Unis), des trésors d’imagination en matière de marketing, de packaging et d'œnotourisme sont déployés pour les vendre et justifier le prix. Les producteurs n’hésitent pas, par exemple, à recycler sur leurs étiquettes les principaux clichés sur l’histoire de l’Amérique, et particulièrement celle de l’Ouest américain.

Les producteurs n’hésitent pas à recycler les principaux clichés sur l’histoire de l’Amérique, et particulièrement celle de l’Ouest américain.

L’émergence de ces nouvelles zones de production s’accompagne aussi d’un rapprochement des consommateurs, dans les centres urbains. Les city wineries ont fait leur apparition dans les quartiers branchés des grandes métropoles et sur les principaux sites touristiques du continent. Concept hybride où l’on produit sur place, dans le centre de Chicago ou de Seattle, alors que les citadins viennent y déjeuner ou y boire un verre avec vue sur le chai, la winery semble avoir été déplacée vers le client.

La City winery de downtown Chicago.

Déjeuner avec vue sur les cuves et sur le chai à barriques, en plein centre-ville.

Le must absolu est actuellement la Rooftop winery, de New York City. Depuis quatre ans, des cépages bordelais installés à la manière d’un potager urbain dans des jardinières produisent quelques centaines de bouteilles, vendues ensuite sur le show-room bar au milieu des vignes.

Véritable espace urbain réinvesti par l’agriculture, ce vignoble sur les toits serait, selon l'un des cofondateurs, Devin Shomaker, "le premier du genre commercialement viable". De plus, il se veut écoresponsable (récupération de l’eau, terre issue du recyclage…). Le microclimat d’un toit à New York permettrait de profiter de l’effet séchant du vent et d’une très bonne exposition au soleil.


Vigne et vin produit en rooftop à New York City.

Des côtes très arrosées du Pacifique en passant par les plaines de l’Ouest américain et jusqu’au downtown des métropoles, la science, le réchauffement climatique, l’imagination et le business semblent mener la vigne et le vin vers de nouveaux territoires, parfois vraiment inattendus.


 

Crédit photos : Elsa Garcia, Adrien Badet, Aline Gasteclou

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