Vers la fin de l’interdiction de l’irrigation en Alsace

Par 63 voix contre 35 et 12 abstentions, l’assemblée générale de l’Association des Viticulteurs d’Alsace (Ava) s’est prononcée, le 15 mars 2022 à Colmar, en faveur de la suppression de l’interdiction d’irriguer ses vignes, en appellation alsace. Elle ouvre donc la voie à un processus de modification de son cahier des charges. Les débats ont fait état d’avis relativement tranchés sur le sujet. Le texte devra encore passer par les fourches caudines de l’INAO.

« L’irrigation peut être autorisée, conformément aux dispositions de l’article D. 645-5 du Code rural, à l’exception des dénominations géographiques complémentaires, des lieux-dits et des VT/SGN. L’aspersion sur le feuillage est interdite. La fertirrigation est interdite. » Tel était le texte proposé à la votation. Par ailleurs, cette autorisation d’irrigation est associée à une charge maximale moyenne à la parcelle (CMMP). L’assemblée générale a proposé 12 000 kg/ha pour les crémants, soit 80 hl/ha ; 10 000 kg/ha pour les alsaces blancs, soit 80 hl/ha ; idem pour les rosés, soit un peu plus de 75 hl/ha ; et 8 000 kg/ha pour les rouges, soit un peu plus de 60 hl/ha.

Si l’autorisation est validée, le viticulteur devra effectuer une déclaration d’irrigation auprès de l’ODG-Ava, au plus tard le premier jour d’irrigation.

Une irrigation qualitative ?

Les viticulteurs présents lors de l’AG se sont exprimés avant le vote.

Pierre Gassmann pose la question des terroirs naturellement secs, granitiques par exemple. « L’irrigation ne dénaturerait-elle pas l’identité du terroir ? On donne un droit à produire supérieur à ce que la nature donne sur ces terroirs, ce qui n’est pas logique en appellation pour la qualité et la structure des vins. L’irrigation, c’est très bien, mais il faudrait adapter la charge maximale moyenne à la parcelle (CMMP). »

« Si on veut produire des volumes, on sait faire sans eau, répond Jacques Stentz. Donc c’est vraiment un outil qualitatif », assure-t-il. Pierre-Olivier Baffrey ajoute qu’en zone séchante, « l’apport palliatif d’eau peut avoir des effets extrêmement qualitatifs. Et le millésime 2021 démontre que l’eau nous a donné d’excellents rieslings sur les terroirs séchants. » Christian Quintlé appuie en ce sens : « Les terroirs secs ont du mal à mûrir. » Tel que pratiquée en Autriche, l’irrigation donne, selon lui, des « vins magnifiques. On est convaincu par l’irrigation qualitative, par un apport d’eau où la vigne en a juste besoin, au bon moment. »

Cependant, Olivier Humbrecht « ne comprend pas le rapport entre l’irrigation et l’année 2021 pluvieuse. Tous les sols filtrants ont souffert de stress hydrique fin août. Quels étaient les rendements de ces vignes qui ont donné de très bons vins ? Étaient-ils à 12 tonnes/ha ou moins ? Il faudrait avoir des chiffres précis pour établir ce genre de corrélation exacte entre la pluie, la sécheresse, les rendements… Il faudrait des données valables pour avoir un bon raisonnement ».

Didier Pettermann rappelle pour sa part, qu’en certaines zones, la situation est très critique : « En 2019, certaines parcelles n’ont pas pu être récoltées. Dans ce cas, l’irrigation aurait d’abord pour priorité de préserver le végétal », c’est-à-dire à simplement sauvegarder l’outil de production. « Ceux qui pensent irrigation aujourd’hui cherchent déjà à sauvegarder le végétal. » Et Matthieu Haag constate régulièrement que « sans l’orage du “Corso fleuri” et celui de la foire aux vins, le millésime est compromis avec des problèmes de maturité phénolique ».

Des garanties sur les volumes ?

Pour garantir de ne pas dériver en production volumique, Matthieu Ginglinger propose de baisser la CMMP des vignes irriguées. Hervé Gaschy ajoute : « Notre rendement est de 65 hl/ha cette année, mais si j’ai 12 000 kg/ha de raisin à l’ha, on ne peut rien me dire. Comment peut-on s’assurer que le surplus ne va pas compenser d’autres vignes par ailleurs ? » Réponse de Jacques Stentz : « Il faudrait alors aussi contrôler les vignes qui ont 20 % de manquants ou plus… » Olivier Humbrecht voit cependant difficilement comment pourrait se dessiner l’irrigation dans un vignoble. Il prend l’exemple d’une ère d’appellation communale comme Scherwiller avec ceux qui décident de sortir de « la communale » et d’irriguer, et ceux qui restent dans la communale : « Ça va être une espèce de damier dans le même terroir. » Réponse de Maxence Werck, de l’Ava : le traçage informatisé à la parcelle est en place et efficace.

Dans tous les cas, « le sujet des rendements différenciés entre vignes irriguées et non irriguées n’a pas recueilli la majorité au conseil d’administration », répond Gilles Ehrhart.

D’abord de la recherche et des essais

Jean Masson, chercheur à l’Inra, précise que cette thématique de l’irrigation a trait à plusieurs disciplines : l’œnologie, l’économie, l’agronomie et l’écologie. « C’est le climat qui commande. Ne pourrait-on pas avoir une réflexion scientifique multidisciplinaire avant d’agir ? On dispose de conservatoire avec une grande variété génétique de riesling. Certains clones rejetés autrefois correspondent peut-être aux besoins de demain. Donc soyons prudents avant de se lancer. » Propos renforcés par l’avis de Matthieu Ginglinger qui propose également de « se lancer dans des essais préliminaires pour évaluer l’impact qualitatif sur le goût des vins ». Relayé par ceux d’Hervé Gaschy qui souhaite « asseoir une telle décision sur une base scientifique solide ».

Mais « dans dix ou quinze ans, la situation va se dégrader », affirme Jacques Stentz. Et il faut dix à douze ans d’essais pour véritablement avoir du recul sur une pratique. Il faut donc, selon lui, dès à présent engager le dossier d’autant que « si on vote aujourd’hui, il y a tout un processus de validation qui mettra encore quelques années, puis il faudra s’organiser ». Damien Schmitt confirme : « Si on refuse, on ne fera pas d’étude, il faut donc déjà s’ouvrir la possibilité pour engager des études. » Mais Christian Beyer suggère également d’effectuer plus de recherches sur les « pratiques viticoles économes en eau ».

Un vignoble clivé ?

Au terme des débats, Matthieu Haag a appelé à ne pas prendre de décision idéologique et à ouvrir le cahier des charges. Mais Raymond Baltenweck voit dans l’irrigation un « risque d’opposition entre ceux qui pourront irriguer et ceux qui ne le pourront pas. C’est le même type de débat que nous avions dans les années 60 sur le sucrage-mouillage. À l’origine, l’irrigation a été permise dans les vignobles de France pour éviter la destruction de l’outil de production par sécheresse, rappelle-t-il. Nous cherchons aussi désormais par cet outil à assurer le revenu. D’où le débat entre ceux qui pourront et ceux qui ne pourront pas irriguer ».

Christophe Lindenlaub demande d’être prudent et à « évaluer l’image auprès du consommateur ». Christian Beyer interroge aussi l’aspect économique : « Est-ce que l’irrigation va augmenter le prix du kilo de raisin ? »

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