Les couverts végétaux sont une porte d’entrée vers l’agriculture de conservation

Frédéric Thomas est agriculteur et rédacteur en chef de la revue « TCS ». Ici, dans un couvert biomasse de douze espèces entre un blé et un maïs (production de 5 à 10 t de MS/ha/pendant l’interculture (août à avril). Photos : Frédéric Thomas/TCS

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L’expérience de l’agriculture de conservation en grandes cultures est une vitrine. Ce que l’on constate depuis quinze-vingt ans est en grande partie transposable en vigne. Le point de vue de Frédéric Thomas, agriculteur et rédacteur en chef de la revue « TCS ».

Quels constats tirez-vous des pratiques actuelles en vigne ? Quelles évolutions sont possibles ?
Frédéric Thomas : Quand on regarde les données scientifiques en vigne, on constate qu’au niveau du sol (matière organique, densité de vers de terre, activité biologique, etc.), la viticulture conventionnelle ne contribue pas à maintenir, ni à développer, la performance des sols. On s’en aperçoit très bien lorsque l’on remet des céréales derrière, par exemple ; le potentiel de la culture est très dégradé. Sur une vigne désherbée (mécaniquement ou chimiquement), on produit peu en biomasse, ce qui limite la possibilité de reconstruire du sol avec de bonnes fonctionnalités.
En moyenne, la production est seulement de 2 à 3 t de MS/ha, alors que par comparaison, en système céréalier, les successions cultures et bons couverts peuvent produire 20, 25, voire 30 t de MS/ha/an, dont une grande partie sera laissée au sol. Un grand virage a déjà été pris en viticulture depuis quinze ans, avec l’enherbement permanent ou semi-permanent.
Mais ce n’est pas « suffisant »,
car les plantes qui survivent naturellement dans un terroir sont adaptées aux conditions difficiles de l’été. D’une certaine façon, elles peuvent se retrouver en compétition frontale avec la vigne pour l’eau et pour les nutriments. Il y a également une incohérence notable dans la gestion de l’eau : beaucoup de viticulteurs n’enherbent pas, en partant du principe que le couvert va prendre trop d’eau. Mais en été, les sols non couverts vont s’élever en température et s’assécher encore plus vite. Ces sols qui ont la fièvre vont, en plus, très mal gérer l’eau, devenir hydrophobes, et une partie du peu d’eau qui arrive en été sera perdue pour refroidir le sol. Ces problèmes de température ont aussi une incidence dans les flux de fertilité, avec un effet « montagnes russes »… alors que ce que l’on recherche, c’est la stabilité. En système de travail du sol, le phénomène est encore pire, car les racines des vignes sont moins profondes, elles se rapprochent des zones de libération de fertilité et sont donc encore plus sensibles à la sécheresse. Il va falloir envisager le bilan hydrique autrement…
Comme toutes les cultures pérennes, la vigne est également en monoculture depuis longtemps. Les risques maladies et ravageurs sont donc exacerbés. Pour les limiter, il faut faire en sorte que le sol digère mieux, réintroduire de la biodiversité.
Les couverts végétaux et l’interrang sont un endroit où l’on peut réintroduire et cultiver cette diversité végétale, qui induira automatiquement une diversité animale, en insectes, en champignons, etc., avec peut-être des ravageurs, mais elle invitera aussi beaucoup d’auxiliaires.

Profil de sol pour évaluer l’impact des couverts  sur le fonctionnement du sol et l’enracinement de la vigne.
Quelle différence par rapport aux grandes cultures ?
F. T. : Contrairement aux grandes cultures où la porte d’entrée vers l’agriculture de conservation est constituée par le non-travail du sol, en vigne ce sont plutôt les couverts végétaux. La vigne est une plante pérenne d’été, on dispose donc d’une contre-saison énorme, dont il faut profiter. Il est possible de produire de la biomasse en quantité et en diversité en automne-hiver-printemps. Pour l’ensemble des bénéfices agronomiques, tout ce qu’on observe en grandes cultures avec dix ou vingt ans de recul maintenant, il n’y a pas de raisons qu’on ne l’observe pas en viti.
Comme dans les systèmes céréaliers, les couverts en vigne sont une porte d’entrée vers de nouvelles idées en agroécologie, qui permettront de conduire les vignes différemment. Un couvert, ce n’est pas simplement une façon d’éviter de désherber. La présence d’un couvert vivant a de multiples effets bénéfiques. Pour autant, les couverts ne sont pas une « baguette magique » : ce n’est pas parce qu’on implante des couverts qu’on voit tout de suite la différence. C’est la continuité des répétitions qui construira des impacts durables.
 

Quels sont les effets bénéfiques d’un couvert en vigne ?
F. T. : Ils sont multiples. En premier, ancrer les sols avec des racines vivantes, capter du carbone, et fixer de l’azote afin de remonter l’autofertilité des parcelles. Autre effet : si on arrive à conserver cette biomasse à l’entrée de l’été, on refroidit les sols et on limite l’évapotranspiration. Un sol nu monte irrémédiablement en température. Avec un couvert, on peut très facilement diminuer de 10 °C la température du sol. En juin 2011, en Alsace, nous avions mesuré une température de 40 °C sur les premiers centimètres d’un sol nu ; sous un couvert végétal vivant (d’une vingtaine de centimètres de haut), la température du sol en surface était de 20 °C seulement.
Le couvert va progressivement concurrencer les racines de la vigne et forcer les nouvelles racines à descendre plus bas, là où elles doivent normalement prospecter : un environnement plus calme. Cela permet de créer deux écosystèmes de biodiversité : celui du couvert sur les 25 à 40 premiers centimètres de sol, et celui de la vigne en dessous, un univers plus minéral dans lequel les racines de la vigne devront s’appuyer sur les mycorhizes, notamment, en cohérence avec la notion de terroir.
Dernier point : avec un couvert, on « invite » une activité biologique dans les sols mais aussi en surface avec les fleurs. Cette activité va en attirer d’autres : insectes, oiseaux, etc. Il est très difficile de savoir quels réseaux vont revenir avec tels types de couverts, mais un couvert, quel qu’il soit, va de toute façon augmenter la biodiversité. Par conséquent, il va diminuer le risque de ravageurs spécifiques, mais aussi de maladies, par une décomposition plus rapide des résidus de la vigne.

Un conseil pour l’implantation des couverts en viticulture ?
F. T. : Pour réussir l’implantation du couvert, on est souvent obligé de détruire le gazon mécaniquement ou chimiquement. Il est très compliqué d’implanter un couvert en direct dans un tapis de plantes pérennes vivantes. Seuls la féverole et le pois d’hiver arrivent à s’en sortir. On peut, sans prendre de risques, implanter le couvert un rang sur deux. Je conseille plutôt de semer en prévendange, fin août/début septembre, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si on veut qu’un couvert soit « efficace », il faut optimiser son développement. Plus on sème tôt, plus on obtiendra de biomasse pour l’hiver. À cette période, on a peu de risques de concurrence avec la vigne. Il y a environ un mois entre la levée d’un couvert et son départ en végétation, et donc sa « concurrence ». Et c’est souvent une période plus calme dans l’organisation du travail des exploitations viticoles.


Jeune vigne en Charente avec une gestion « tandem » : un interrang avec un mélange  multi-espèces, l’autre avec de l’avoine qui vient d’être broyée (photo prise le 4 mars 2019).
Quelles espèces implanter ?
F. T. : La féverole est l’espèce la plus facile, mais on peut aller plus loin avec une multitude d’espèces : lin, phacélie, trèfle incarnat, et pourquoi pas, quand les semis sont précoces, sarrasin ou tournesol. Tout dépend de l’objectif du couvert. Le couvert est un outil, il faut savoir ce que l’on veut en faire. Si on recherche un paillage au printemps, pourquoi pas des céréales (avoine, seigle, triticale) ou de la vesce, des pois… Si le but est de restaurer la fertilité, il faut plutôt opter pour des légumineuses détruites assez tôt. Il existe toute une palette d’espèces et de mélanges à mettre en place. Sans oublier les crucifères. Il ne faut surtout pas tomber dans une monoculture de couvert. Conserver tous les ans le même couvert. On peut d’ailleurs profiter d’une gestion différente selon les rangs, cela permet d’avoir un tandem de couverts différents : alterner par exemple, un rang sur deux, un couvert agressif et un couvert qui redonne de la fertilité1.

Comment limiter les risques ?
F. T. : Il y a deux risques potentiels : la compétition sur la fertilité, même avec des légumineuses, et un risque de gel au printemps. Aujourd’hui, les études faites sur Gaillac montrent qu’un couvert non rabattu diminue de 0,5 à 0,7 °C la température au niveau de la zone des bourgeons. Cela peut donc bien amplifier le risque de gel, avec les faibles connaissances que nous avons actuellement. En revanche, lorsque le couvert est développé et qu’il dépasse la zone des bourgeons, il peut avoir un effet protecteur. En cas de gel annoncé, il vaut mieux rester prudent et rabattre les couverts.
 

Et lors d’une nouvelle plantation ?
F. T. : Puisqu’il n’y a pas de concurrence, c’est l’occasion de se « lâcher » en matière de couverts pendant l’interculture, et de produire un maximum de biomasse ; pourquoi pas du sorgho ? Généralement, on travaille (trop) le sol, on apporte de la MO, et une grande partie de cette fertilité fuit, elle s’échappe avant même que la vigne soit suffisamment installée. Il ne faut surtout pas de sol nu lors de l’installation des jeunes vignes. Il faut imaginer la concurrence dans le sol pour capter l’eau et les nutriments en trois dimensions. Si la vigne n’a pas de concurrence, elle va laisser son système racinaire en surface. Après la plantation, il faut continuer l’enherbement pour contraindre les racines des jeunes vignes à descendre.

(1) Pour plus d’informations sur les mélanges possibles : agriculture-de-conservation.com/sites/agriculture-de-conservation.com/IMG/pdf/couverts_vegetaux_2018.pdf

« Ce n’est pas parce qu’on implante des couverts qu’on voit tout de suite la différence. C’est la continuité des répétitions qui construira des impacts durables. »

Article paru dans Viti 445 de septembre 2019

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