Les cépages locaux du Languedoc, un des leviers pour contrer le réchauffement climatique

Les 12 hectares de vignes  sont regroupés sur des coteaux  schisteux, menés en agriculture biologique, non certifiés. Photos : S.Favre/Média et Agriculture

Les 12 hectares de vignes sont regroupés sur des coteaux schisteux, menés en agriculture biologique, non certifiés.

Crédit photo S.Favre/Média et Agriculture
Ribeyrenc, morastell, terret, œillade… Ces noms de cépages ne vous disent rien ? Normal ! À la recherche de vins à petits degrés d’alcool, dès les années 1990, Thierry Navarre, vigneron dans le Haut-Languedoc, a remis au goût du jour ces cépages oubliés et locaux sur ses coteaux schisteux. Cette histoire de réadaptation réussie fait aussi le lien entre terroir et changement climatique.

Au nord-ouest de Béziers, dans l’Hérault, une myriade de terroirs AOC surplombe la plaine viticole biterroise. Sur ces coteaux de moyenne altitude arrosés de soleil s’étend notamment l’aire d’appellation de saint-chinian.

Thierry Navarre est l’un de ses représentants. À 59 ans, ce fils et petit-fils de vigneron peut retracer l’histoire collective de l’AOC, sa genèse et les efforts déployés auprès des prescripteurs pour faire reconnaître la qualité de ses vins.

« Nous partions de loin ! L’image des vins languedociens était tellement dégradée. Et si aujourd’hui, je m’épanouis avec des cépages presque disparus comme le ribeyrenc, je revendique toujours des vins en appellation saint-chinian. La syrah, le grenache et le mourvèdre apportent de la diversité à l’encépagement du domaine. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain comme on dit ! »

Des cépages adaptés au terroir

Pourtant, ce n’est peut-être pas passé loin.

>>> Thierry Navarre détaille :

« Au tournant des années 1990, la volonté de certains d’aller trop en avant vers les variétés dites “amélioratrices” m’a beaucoup interrogé. À les écouter, la qualité de nos vins ne pouvait s'améliorer qu’avec l’augmentation de la syrah dans l’assemblage. On ne parlait pas encore de changement climatique, mais j’avais déjà la volonté d’aller vers des cépages variés, adaptés à mon terroir afin d’élaborer des vins équilibrés. Impossible avec des grenaches à 15 degrés et des syrahs qui sortent à 20 hl/ha sans irrigation. »

Ribeyrenc et autres cépages patrimoniaux

Le viticulteur, qui reprenait alors le domaine familial, s’est intéressé à des cépages locaux « en voie d’extinction ». La prospection commence dans les vignes de l’exploitation, qui couvrent aujourd’hui 12 hectares.

« J’ai commencé par le ribeyrenc. Nous en avions une dizaine de pieds. Je les ai progressivement multipliés en sélection massale. Et, avec l’aide de voisins, vieux viticulteurs ayant en tête où ils en avaient mis quelques pieds, j’ai constitué une parcelle de 1.000 pieds plus ou moins indemnes de viroses… »

Un coteau complexe

Pour l’implantation, le vigneron choisit un coteau aride, exposé et caillouteux.

Le sol du domaine est essentiellement  constitué de schistes affleurant en surface.
Le sol du domaine est essentiellement constitué de schistes affleurant en surface.
Crédit photo : S. Favre/Média et Agriculture

« S’il poussait dans ces conditions, il pousserait ailleurs. Telle était ma réflexion, qui a été avisée, car le ribeyrenc est un cépage qui s’épanouit dans la rusticité. Il est tardif comme le mourvèdre, il produit 25-30 hl/ha et, récolté fin septembre, il donne des vins à 12,5°, avec peu de couleur et au nez des arômes singuliers de fraises écrasées, même sur les millésimes de plus en plus chauds. C’est un cépage vraiment paradoxal qui, sur des coteaux chauds, donne des vins légers. Ça, je l’ai découvert en le vinifiant, car je n’avais jamais goûté de vin de ribeyrenc avant d’en faire. »

Viser la sélection

Le vigneron s’est ensuite frotté à l’œillade, un raisin rouge proche du cinsault, qui est à maturité à 11,5-12 degrés, ou encore au terret gris, « un cépage d’avenir, résistant à la sécheresse qui, s’il arrive à se flétrir, se refait avec trois rosées matinales. Sur mes sols de schistes, en gobelet, il peut produire 50 à 60 hl/ha ! »

Ces cépages et d’autres qui n’étaient pas autorisés dans le cahier des charges de l’appellation saint-chinian n’étaient pas non plus tous inscrits au catalogue officiel ni classés en tant que variétés de vigne à raisins de cuve. Légalement, faire du vin avec et le vendre était interdit.

« Ces cépages patrimoniaux m’ont beaucoup apporté humainement. Grâce à eux, j’ai fait des rencontres formidables, même dans l’administration ! Laurent Mayoux, alors au Comité technique permanent de la sélection, a fait beaucoup pour inscrire le ribeyrenc dans ses trois couleurs. »

Le ribeyrenc donne des vins avec peu de couleur. Il développe  des arômes très identifiables de fraises écrasées. Ce cépage  existe aussi en blanc, que l’on retrouve au domaine en assemblage avec du grenache gris et de la clairette (10 euros prix caveau).
Le ribeyrenc donne des vins avec peu de couleur. Il développe des arômes très identifiables de fraises écrasées. Ce cépage existe aussi en blanc, que l’on retrouve au domaine en assemblage avec du grenache gris et de la clairette (10 euros prix caveau).
Crédit photo : S.Favre/Média et Agriculture

Moins d’eau et pourtant plus de maladies

Dans sa quête, tous les essais ne sont pas si concluants.

« Tous les cépages anciens ne sont pas bons et il n’y a pas que les cépages anciens qui sont bons, estime Thierry Navarre. Le morastell noir à jus blanc amène de l’acidité et de la rudesse. C’est un bon cépage secondaire, mais seul il est imbuvable. 500 pieds me suffisent. Je renouvelle désormais à moitié avec les cépages locaux et à moitié avec les cépages de saint-chinian, en laissant de côté le mourvèdre qui, sur mes terroirs, présente des blocages de maturité de plus en plus fréquents. »

Car si le vigneron s’est orienté vers des variétés qui révèlent une bonne tolérance à la sécheresse, il n’en reste pas moins, lui aussi, soumis au changement climatique.

« Le virage est notable depuis les années 2000. L’été, c’est la sécheresse, mais tout de même avec des pluies ponctuelles de 2 mm, propices à l’oïdium et au black-rot. Il est fini le temps où j’avais uniquement une poudreuse pour contenir l’oïdium en deux traitements. Et désormais, en plus, chaque passage est à réfléchir en fonction du risque de grillure des feuilles. En 2019, lors du pic de chaleur, des vignes soufrées dix jours plus tôt ont totalement grillé. D’autres années, les conditions météo augmentent la fréquence et la virulence du mildiou, une maladie que l’on voyait une fois tous les dix ans avant. Les coûts de production augmentent et le rendement diminue. Et globalement, avec le manque d’eau, il est plus compliqué d’installer une jeune vigne sur mes coteaux de schistes maigres. »

Adapter l'itinéraire technique

L’irrigation est une solution mise en œuvre sur le domaine. 3,5 ha sont équipés avec en moyenne deux tours d’eau en été.

Le vigneron fait partie d’une ASA qui utilise l’eau de l’Orb. « Sur des parcelles en pente, biscornues et avec des sols où la roche affleure, l’installation coûte deux fois plus cher qu’en plaine fertile. Mais l’irrigation est vraiment utile au vignoble. Le problème, c’est que l’installation n’est pas compatible avec le système en gobelet qui convient, par exemple, très bien au ribeyrenc. Dans les parcelles qui ont l’eau, il faut passer l’interceps… Avec les gobelets plantés en carré tous les 1,7 mètre, je laboure en croisé jusqu’à ce que la végétation recouvre le sol courant mai. Je préfère. J’arbitre au cas par cas. »

Et aucune parcelle ne semble menée de la même manière.

La densité de plantation en réflexion

La densité de plantation est aussi, au domaine, un sujet de réflexion. Pour pérenniser de vieilles parcelles, elles aussi malmenées par les conditions climatiques, le vigneron a parfois arraché un rang sur deux. « Elles ne peuvent plus être en AOC, mais elles retrouvent vite de la vigueur ; avec une moindre contrainte hydrique, le rendement ne chute pas de moitié. »

Face au changement climatique, le vigneron renforce une position acquise dès le début de sa carrière : « Il ne faut pas copier les succès d’ailleurs. Au contraire, dans le Languedoc notamment, nous avons tout intérêt à connaître parfaitement nos terroirs et à les faire s’exprimer avec les cépages et les façons culturales qui y sont le mieux adaptés, même s’ils ne sont pas (encore) reconnus. »

 

Vous avez dit modeste?

Ondenc, macabeu, sylvaner, trousseau gris... Voici quelques-uns des 290 cépages modestes autorisés en France. Modeste, c’est le qualificatif qu’a choisi une poignée de passionnés pour nommer ces variétés autochtones en opposition aux cépages dits « nobles », comme le chardonnay ou la syrah, qui ont connu une destinée internationale.

« Il y a certainement un potentiel de 500 cépages modestes à inscrire en France, indique Jean Rosen, vice-président des Rencontres des cépages modestes et directeur de recherche émérite au CNRS. Chaque année, la liste s’étoffe. Cette reconnaissance est une première étape afin de permettre à des vignerons de se les réapproprier. Aujourd’hui, 85 % de l’encépagement français sont le fait d’une douzaine de cépages. S’intéresser aux cépages modestes est aussi une façon de retrouver des goûts perdus. Ces cépages sont, pour la plupart, exclus des cahiers des charges des AOC. Le système d’appellation, qui a, à une époque, amélioré la qualité des vins et limité les fraudes, formate désormais les goûts en limitant drastiquement la diversité de cépages. On se retrouve même avec des appellations monocépages. » C’est le cas, par exemple, de l’AOC cornas avec la syrah.

Localement, certains cépages modestes retrouvent des couleurs par la volonté de vignerons ou de collectifs motivés. Pensons à la négrette dans l’appellation fronton, l’abouriou dans la région de Marmande ou la mondeuse blanche en Savoie.

Si vous êtes intéressés par ce thème, sachez que l’association Rencontres des cépages modestes organise chaque année un événement dans l’Aveyron. Le prochain est prévu les 5 et 6 novembre 2022.

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