Le dispositif bacchus de l’Inrae étudie les liens entre biodiversité et pratiques viticoles

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Chercheur en agroécologie à l’Inrae de Bordeaux, Adrien Rusch étudie les liens entre biodiversité et viticulture, abordant à la fois ses effets sur la pratique viticole et ce qu’elle peut lui apporter.

Pouvez-vous nous expliquer vos travaux et le dispositif Bacchus ?
Adrien Rusch :
Depuis cinq ans, nous avons mis en place le dispositif Bacchus sur une zone de 900 km2 située dans le Libournais et L’Entre-deux-Mers. Sur ce site atelier, nous suivons chaque année dans cette zone une quarantaine de parcelles viticoles, choisies sur des critères précis, sur lesquels nous mesurons la biodiversité présente, les pratiques viticoles, les éléments du paysage (haies, espaces non cultivés, arbres, etc.). Le but est de décorréler les effets des pratiques viticoles des habitats semi-naturels, pour connaître l’impact de chacun de ces facteurs sur différentes composantes de la biodiversité.

Quels sont les résultats ?
A. R. :
Les premiers résultats montrent qu’il n’y a pas de réponse unique de la biodiversité aux méthodes viticoles : une pratique donnée ne va pas favoriser ou défavoriser toute la biodiversité, mais la réponse est souvent plus nuancée et dépend des groupes taxonomiques considérés. Par exemple, la viticulture biologique va favoriser les araignées et plutôt défavoriser les pollinisateurs sauvages. Par ailleurs, le désherbage, qu’il soit chimique ou mécanique, a un effet défavorable sur les pollinisateurs, car il limite fortement les ressources en fleurs à disposition. Le travail du sol a un effet très négatif sur la biodiversité du sol : les carabes, par exemple, y sont très sensibles. L’accumulation de cuivre dans le sol ou l’utilisation d’insecticides va très fortement impacter les populations de collemboles, micro-arthropodes au rôle essentiel dans la décomposition de la matière organique (MO). Connaître précisément ces interactions est important pour pouvoir ensuite adapter les préconisations au vignoble et favoriser la faune « utile ». Même si l’on peut tout de même identifier les pratiques globalement favorables : diminuer le degré de perturbation du sol, implanter des couverts, réduire l’emploi des produits phytosanitaires, introduire ou conserver des espaces semi-naturels.

Le séquençage des fragments d’ADN retrouvés dans les contenus stomacaux d’espèces prédatrices présentes au vignoble va permettre de savoir qui mange qui au sein d’une parcelle. Photo : Sylvie Richart Cervera

L’enherbement des inter-rangs a-t-il un impact positif sur le biodiversité ?
A. R. :
Le fait de réimplanter des couverts, de diversifier les plantes de l’inter-rang, avec des tontes modérées permet d’augmenter les services écosystémiques de plus de 20 %. C’est l’un des premiers leviers à activer pour améliorer la biodiversité sur une parcelle.
Le poids du contexte paysager est également important en cultures pérennes comme la vigne, même s’il l’est beaucoup moins qu’en grandes cultures, où les haies, les arbres et les bandes enherbées sont souvent les seuls abris disponibles pour la faune auxiliaire : ils servent de réservoir à partir duquel les auxiliaires colonisent les parcelles. En viticulture « peu » intensive, on assiste moins à ces phénomènes de colonisation-recolonisation des parcelles à partir des espaces semi-naturels, car les espèces peuvent dans certains cas se maintenir sur la parcelle. Certaines espèces d’araignées notamment hivernent sur la parcelle.
Notre travail consiste à effectuer une analyse intégrative de toutes ces connaissances, de façon à proposer aux viticulteurs des combinaisons de pratiques et d’éléments paysagers qui favorisent la biodiversité et minimisent les risques viticoles.

Quels services rend la biodiversité dites « utile » ?
A. R. :
Les services rendus par la biodiversité au vignoble sont multiples, mais deux sont particulièrement importants : la dégradation de la matière organique et la régulation naturelle des ravageurs de la vigne. Beaucoup de connaissances manquent encore. Concernant la régulation naturelle par exemple on ne sait pas exactement quelles espèces sont impliquées et « efficaces ».
Nous sommes en train de finaliser un gros travail, démarré il y a 6 ans, de séquençage des fragments d’ADN retrouvés dans les contenus stomacaux d’espèces prédatrices présentes au vignoble. Le but est de savoir qui mange qui au sein d’une parcelle pour identifier les groupes d’espèces impliqués dans la régulation naturelle des ravageurs. Qui mange la cicadelle de la flavescence dorée, les tordeuses de la grappe, etc. On part du principe, par exemple, qu’avoir des opilions sur la parcelle est une bonne chose, mais qu’en est-il vraiment ? Car la seule présence d’une espèce sur la parcelle ne permet pas de savoir ce qu’elle mange réellement, ni son efficacité potentielle en tant qu’auxiliaire. Pour ce travail, nous avons collecté plus de 6 000 individus de plus de 40 espèces de prédateurs différentes, essentiellement des insectes et des araignées. Par ailleurs, nous analysons les fèces de chauves-souris ou d’oiseaux grâce à des méthodes similaires pour évaluer leur régime alimentaire et leur rôle dans la régulation des insectes ravageurs. Les résultats, attendus fin 2021, devraient permettre d’identifier les espèces les plus impliquées dans la régulation naturelle et ainsi d’orienter les pratiques viticoles favorisant leur installation et leur maintien au vignoble.

L’accumulation de cuivre dans le sol ou l’utilisation d’insecticides va très fortement impacter les populations de collemboles, micro-arthropodes au rôle essentiel dans la décomposition de la matière organique (MO). Photo : Noémie Ostandie

La viticulture biologique est-elle plus favorable à la biodiversité que la viticulture conventionnelle ?
A. R. :
C’est une vision trop simpliste. De la même façon qu’il existe plusieurs types d’agriculture conventionnelle, il existe plusieurs types de viticulture biologique. Certains peuvent pratiquer une viticulture biologique « intensive » qui ne sera pas favorable à la biodiversité. Et ensuite il faut bien prendre conscience qu’il n’y a pas de réponse unique de tous les taxons à une pratique quelle qu’elle soit.

Le déclin de la biodiversité en France est avéré. Mais qu’en est-il au niveau des parcelles viticoles ?
A. R. :
En fait nous avons peu d’éléments de référence sur ce qu’était la biodiversité dans les vignes il y a cinquante ans ou plus. Il est donc difficile de répondre en l’état actuel des connaissances, seuls des programmes comme ceux menés sur les oiseaux par le Muséum national d’histoire Naturelle (STOC) ont suffisamment de données pour faire cette analyse. Nous prévoyons d’étudier ce type de données pour voir si les communautés en vigne suivent ou non la même dynamique que celle constatée au niveau global.

Article paru dans Viti 456 de novembre-décembre 2020

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