Contre cryptoblabes, comment piloter la lutte insecticide?

« Cryptoblabes gnidiella » ou pyrale du daphné continue d’inquiéter les vignerons méditerranéens. Si des insecticides fonctionnent contre ce vers de la grappe, le positionnement et la nécessité du traitement sont sources d’interrogations. La confusion sexuelle récemment homologuée pourrait être une alternative à suivre de près.

En 2020, Cryptoblabes gnidiella a causé des dégâts, localement très importants. Ainsi, sur certaines parcelles dans l’Aude, jusqu’à 95 % des grappes étaient atteintes, avec des pertes de récoltes associées. Inféodés aux vignobles du littoral méditerranéen, le ravageur étend son périmètre de nuisance pour remonter dans les terres. « Dans le Languedoc, des papillons ont été piégés jusqu’à Carcassonne », indique Jean-Michel Morin, directeur commercial du distributeur Magne. C’est en 2018 que les dégâts ont été les plus importants. Depuis cet épisode, les firmes, les conseillers, les vignerons se sont intéressés au ravageur. « La difficulté avec cryptoblabes est qu’il n’y a pas de pics de vols. On piège des papillons de mai jusqu’en octobre. Et durant l’hiver, le ravageur hiverne à différents stades larvaires ou en chrysalide », détaille Jean-Michel Morin.

« Cette caractéristique fait qu’il n’ait pas possible de s’inspirer des méthodes que l’on déploie habituellement sur les autres vers de la grappe, comme eudémis qui passe l’hiver uniquement sous forme de chrysalide, indique Jean Litoux, ingénieur conseil chez Syngenta pour les vignobles du Sud-Est. Pour cryptoblabes, quand les températures remontent, le passage au stade papillon se fait de façon fractionnée et continue. Il y a ensuite des pontes tout au long de la saison. Une modélisation pertinente est à ce jour impossible. »

Pour cryptoblabes, il n’existe pas non plus de seuils indicatifs de risque. « Les pontes ne sont pas visibles. Donc on ne peut pas aller dans le vignoble, prélever des grappes et compter facilement les œufs, remarque Jean Litoux. Pour les larves, la situation n’est pas plus simple. Elles évitent la lumière, et attaquent les baies en commençant par la face interne de la grappe. Ainsi, les dégâts, quand ils deviennent visibles, sont en réalité bien plus importants que ce que l’on perçoit au premier abord. »

À la véraison, en attendant plus de certitude

Le cycle biologique particulier de cryptoblabes rend finalement le positionnement des traitements plutôt empirique. À ce jour, la prise de décision pour déclencher le premier traitement larvicide repose donc sur : le stade de la vigne, l’historique de la parcelle et le piégeage des adultes. 

" Il faut que les premiers vols significatifs soient constatés, c’est-à-dire lorsque l’on capture 20-30 papillons tous deux-trois jours dans les pièges sexuels, indique Cyril Cassarini1, de la chambre d’agriculture du Gard. Ensuite, les raisins doivent avoir commencé la véraison. C’est à mon avis le point clé pour une lutte efficace. La date de traitement doit donc être affinée en fonction de la précocité des cépages. Avec les connaissances actuelles sur l’insecte et sur les insecticides homologués, mon conseil est de ne pas traiter avant le début de la véraison. » 

Une préconisation partagée par les firmes comme Syngenta et Corteva, qui distribuent des insecticides larvicides translaminaires ayant une persistance d’action « choc » déclarée de huit à quatorze jours selon les molécules. « Contre cryptoblabes, Success 4, Fycilia et Radiant s’utilisent bien dès le début de véraison, confirment les experts Corteva. Par ailleurs, les pontes et les jeunes chenilles se localisent à l’intérieure de la grappe, sur les pédicelles. Nous conseillons de pulvériser en visant particulièrement l’étage des grappes et en veillant à bien mouiller, à la limite du ruissellement. »

« Si on ne rate pas le coche pour le premier traitement, les molécules comme le spinosad, le spinetoram, l’emamectine ou encore le chlorantraniliprole2 ont une bonne efficacité, indique Cyril Cassarini. Les traitements suivants sont à piloter en fonction des piégeages, de la rémanence des spécialités, du nombre de traitements autorisés par molécule, de la date de récolte et des autres insectes. » 

Cryptoblabes n’est pas seul

« Cryptoblabes gnidiella » passe l’hiver sous forme  de larve ou de chrysalide, dans les grappes de raisins non récoltées momifiées  par des soies. Photo : Cyril  Cassarini
L’émergence de cryptoblabes dans les vignobles méditerranéens n’a pas d’effet négatif constaté sur les autres vers de la grappe. La gestion du nouveau ravageur doit donc se piloter en complément de celle mise en œuvre pour eudémis et cochylis. Plusieurs insecticides larvicides sont à disposition des viticulteurs : les Bacillus thuringiensis kurstaki (Dipel DF, Delfin…), le spinosad (Success 4, Fycilia), le spinetoram (Radiant), l’emamectine (Affirm, Proclaim), etc. ; les vignerons certifiés AB ne pouvant utiliser que les deux premières solutions.

« Pour le spinosad, deux traitements seulement sont autorisés par campagne, rappelle Cyril Cassarini. Il est préférable de réserver l’insecticide pour le contrôle de cryptoblabes avec un premier traitement à la véraison et de gérer eudémis par la confusion sexuelle. À l’approche des vendanges, notamment sur les cépages rouges récoltés tardivement, si la pression cryptoblabes est encore forte, le “Bacillus” peut prendre la suite de l’insecticide. » Cette stratégie utilisable pour les viticulteurs non certifiés bio peut être adaptée avec les autres molécules homologuées contre les tordeuses de la grappe et ayant une efficacité sur cryptoblabes (spinetoram, emamectine, chlorantraniliprole…).

Des diffuseurs déjà dans les vignes

Avec la montée en puissance du ravageur sur l’arc méditerranéen, le nombre de spécialités homologuées s’accroît. Depuis 2018, une solution de confusion sexuelle sur Cryptoblabes gnidiella est proposée aux vignerons français. Magne est le distributeur exclusif des diffuseurs Cryptotec de la société espagnole SEDQ. « En 2020, près de 1 000 ha ont été confusés, témoigne Jean-Michel Morin. Comme pour la confusion contre les vers de grappe plus communs, il faut “mailler” les parcelles avec 400 diffuseurs par hectare sur des îlots les plus grands possible avec un minimum de 5 ha. La pose peut se faire en même temps que celle des diffuseurs contre eudémis. Les phéromones ont une efficacité sur une période 180 jours. Et le coût hectare est évalué à 180 €/ha. Mais dans moins deux ans, la société SEDQ devrait proposer des diffuseurs mixtes eudémis et cryptoblabes, annonce Jean-Michel Morin. Le vol de deux ravageurs, difficiles à distinguer l’un de l’autre, serait perturbé avec une unique solution de confusion. »

Pionnier dans la lutte par confusion sexuelle, SEDQ devrait maintenir sa position quelque temps encore. Interrogées, les firmes BASF, De Sangosse et CBC Biogard, acteurs majeurs de la confusion sexuelle sur eudémis et cochylis, expliquent étudier l’insecte mais n’annoncent aucune commercialisation de phéromone spécifique contre cryptoblabes. Sur le terrain, les avis sur l’efficacité des diffuseurs de phéromones Cryptotec sont variables.

« La pose de diffuseurs de phéromones supprime bien les vols sur les parcelles équipées, a constaté le conseiller Cyril Cassarini. Mais, in fine, il y a des dégâts, très variables. L’efficacité de la confusion contre cryptoblabes que j’ai pu étudier oscille entre 50 et plus de 70 %. L’interprétation que je fais de ces résultats est que les papillons, s’ils ne se reproduisent pas dans la parcelle confusée, peuvent le faire dans une culture à proximité. Des femelles reviennent pondre dans la vigne, attirées par le miellat des cochenilles et/ou le sucre des baies vérées, même si elles ne sont pas touchées par la pourriture. Il peut y avoir une recontamination des parcelles. Les entomologistes qui se sont intéressés à cet insecte le décrivent bien comme mobile et opportuniste. Dans les Pyrénées-Orientales, les avis sur la confusion sont plus positifs. Il faut peut-être prendre en compte l’effet vigueur, qui est beaucoup moins important que dans la zone des sables gardois que je surveille. »

Pour Cyril Cassarini, l’évaluation de cette technique doit se poursuivre « pour comprendre dans quelles situations la confusion sexuelle contre cryptoblabes fonctionne et avec quel niveau d’efficacité, surtout dans des années de fortes pressions ». 

 

(1) Cyril Cassarini est intervenu à propos de cryptoblabes dans le webinaire IFV « Languedoc : l’actualité au vignoble », disponible sur la chaîne YouTube VignevinFrance.

(2) Cette molécule se retrouve dans la spécialité Coragen de FMC. L’insecticide est utilisable en vigne pour les emballages avec l’ancienne étiquette, jusqu’au 21 février 2022. Les emballages Coragen avec nouvelle étiquette ne sont pas utilisables.

Reconnaissance
Pour savoir comment distinguer les lépidoptères ravageurs de la vigne, à différents stades biologiques, vous pouvez consulter une planche réalisée par CBC Biogard. Des photos légendées donnent de bonnes indications.
Dans la bibliographie, le cycle de cryptoblabes est évalué à 500 degrés par jour en base 13.
Cochenille 
Les parcelles hébergeant des cochenilles peuvent présenter des dégâts très importants si cryptoblabes y pond ses œufs. Les larves commencent par se nourrir du miellat des cochenilles pour ensuite manger la peau des raisins à un stade post-véraison. Sans miellat, une part des larves des premières générations ne survit pas.
Il est conseillé de poser les pièges sexuels servant à évaluer les populations de cryptoblabes dans les parcelles avec un historique cochenille.
Essais
Durant la campagne 2021, Syngenta va travailler sur le positionnement de l’émamectine. Deux modalités vont être comparées sur leur efficacité : l’une avec un premier traitement à la véraison renouvelé à 21 jours et l’autre avec une application conditionnée par l’intensification des vols de cryptoblabes à partir du stade véraison. Pour l’emamectine (Affirm/Proclaim) trois applications sont possibles par saison. Le délai avant récolte (DAR) est de sept jours.
Prophylaxie
* Réduction du pool de papillons pour l’année suivante, par élimination des grappes « momifiées » lors de la taille en hiver
* Limiter les populations de cochenilles (traitements aux huiles blanches en sortie d’hiver) et favoriser la biodiversité. (source chambres PACA)

Article paru dans Viti 460 d'avril 2021

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