Bientôt des capteurs pour prévoir le rendement sans compter

Détecter les grappes cachées par le feuillage est l’un des défis à relever pour une prévision de rendement précise et fiable. Photo : L. Theeten/Pixel6TM

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Avec la démocratisation des capteurs et l’apprentissage automatique, la prévision du rendement va-t-elle devenir aussi simple que de passer avec son Smartphone dans les rangs de vignes ? De nombreuses équipes travaillent à concrétiser cette promesse.

Benjamin Kawak est le fondateur de l’entreprise 3D Aerospace. Il tient entre les mains le récepteur eHermes actuellement en dernière année d’expérimentation. S. Favre/Média et agriculture
Prévoir le rendement n’est pas une lubie de forcené administratif : à l’échelon du domaine et de la parcelle, les vignerons sont tenus de rester dans les rendements autorisés par les cahiers des charges. L’information est donc très utile pour mettre en œuvre des mesures correctives le plus tôt possible, si besoin. Elle permet aussi de prévoir les moyens nécessaires à la récolte et d’anticiper les volumes disponibles à la commercialisation.

Un outil en ligne

En théorie, la méthode est simple : il suffit de compter le nombre de grappes par pied sur un échantillon de ceps (40 pieds sont un nombre optimal), choisir un poids de grappe pour estimer le poids de récolte et rapporter le chiffre à la surface plantée. Principal écueil ? L’échantillonnage. Chaque paramètre est une source d’erreur potentielle. En moyenne, pour un même opérateur, l’erreur atteint rarement moins de 10 %. Autre biais possible : l’opérateur lui-même. Un essai récent aux États-Unis a montré que le comptage est source d’erreur : alors qu’il y avait 320 grappes sur un échantillon de ceps dans une parcelle, les comptages manuels par différentes personnes ont donné entre 237 et 309 grappes.
Dès la fin des années 1990, l’IFV Occitanie a essayé d’automatiser la méthode. En analysant plus de 20 000 données sur le volume des grappes de 19 cépages à différents stades d’une part et leur poids à la récolte d’autre part, un modèle a pu être établi. Il permet de prévoir le rendement à partir de la fermeture de la grappe, avec une précision de 10 %. En mesurant simplement le volume de la grappe. Suite à ce travail, un outil en ligne a été créé. Il demeure accessible librement sur le site de l’IFV Occitanie (onglet « outils en ligne »).

Ces dernières années, avec l’arrivée de l’apprentissage automatique ou machine learning, de nouvelles équipes se sont emparées du sujet. Leur objectif est plus ou moins le même : mettre au point une méthode rapide, non destructive, en utilisant des capteurs embarqués sur des engins viticoles ou des quads. La difficulté étant de prendre en compte les grappes cachées par les feuilles ou partiellement visibles. En pratique, plusieurs solutions sont à l’étude, à un stade plus ou moins avancé.
● En Italie, avec un Smartphone
Une

Ces images montrent les grappes prises en photo (a), la réalité de terrain (b) et sa perception par le modèle (c). DR
équipe de la fondation Bruno Kessler (Trento) a adapté une application créée pour dénombrer une foule à l’estimation du rendement dans les vignes. Des photos de grappes ont été prises avec l’appareil photo d’un Smartphone, dans les parcelles, sans précautions particulières et plus de 35000 baies ont été annotées manuellement pour l’étude. Le modèle, baptisé Grape Berry Counting Network (GBCNet), a réussi à dénombrer les baies visibles sur les photos avec une erreur moyenne de 5 %, variable selon les cépages : de 0,85 % pour le pinot gris à 11,73 % pour le marzemino. Afin de vérifier si ces résultats expérimentaux étaient transposables, des essais au vignoble étaient prévus avec l’union de coopératives Cavit (6 350 ha, 5 250 apporteurs). Les recherches devaient se poursuivre pour estimer le poids des baies et appliquer un facteur correctif pour les baies non visibles.

● Au Chili, par satellite
Depuis 2016, le centre de recherche de la Winery chilienne Concha y Toro travaille à améliorer le système de prévision du rendement, suite à une demande interne. « Nous avons pour objectif d’obtenir une précision bien meilleure que les taux actuels de 20-30 % », indique Eduardo Herrera, responsable du contrôle de gestion. Pour cela, le centre travaille à la création d’une plateforme numérique qui permettra de surveiller les variables clés du rendement.
En 2019-2020, un pilote est testé sur un des domaines de la maison, à Lourdes, dans la vallée del Maule, avec de bons résultats : environ 8 % d’erreurs. L’essai a ensuite été étendu à huit domaines sur 200 ha durant cette campagne. La prédiction du volume de vendange est une combinaison de méthodes physiques et technologiques, avec des pesées de grappes, intégration d’images satellites pour analyser la variabilité de la vigueur de la vigne et application d’un modèle prédictif basé sur l’apprentissage machine.
● Aux États-Unis, la nuit
Depuis 2019, l’université Cornell (située dans l’État de New-York) met au point un m

À partir d’une vidéo de la vigne avant floraison, les enseignants-chercheurs de l’université Cornell comptent les grappes avec une précision moyenne  de 5 % dans leurs essais. DR
odèle d’estimation du rendement « efficace et peu coûteux » à destination des petites et moyennes entreprises vinicoles. Pour l’opérateur, il suffira de filmer ses vignes la nuit avec son téléphone, à pied ou sur un tracteur, et d’envoyer sa vidéo sur un serveur pour obtenir un comptage des grappes. Le passage doit être effectué avant la floraison (stades 12 à 15), quand la visibilité des grappes est maximale.
La méthode n’est pas infaillible, mais la précision de la prévision est améliorée par le fait que tous les pieds sont pris en compte (on ne multiplie pas les erreurs liées à l’échantillonnage). Les enseignants-chercheurs annoncent pouvoir compter les grappes avec une précision moyenne de 5 % sur deux années de test, sur deux cépages (riesling et pinot noir) et une erreur maximale de 12 %, soit deux fois moins que la méthode manuelle. Ils espèrent mettre à disposition l’application en open source, après une dernière année de test1.
● En France, au moins trois projets
Forte de son expérience avec le capteur de maturité Dyostem, qui donne aussi des indications sur la taille des baies, l’entreprise Vivelys (groupe Oeneo) travaille sur un outil de prévision du rendement, « un sujet clé pour nos clients, qui prend de plus en plus d’importance avec le changement climatique », indique Karine Herrewyn, directrice générale. L’entreprise a questionné des grands vignobles dans le monde et tous ont confirmé l’impact économique d’une surestimation, comme d’une sous-estimation de ce facteur. La plupart utilisent des méthodes fondées sur le comptage des grappes ou l’estimation visuelle par expérience, avec une précision du résultat de 10 à 20 %. Vivelys fait actuellement des essais avec plusieurs technologies. « Nous progressons et nous lancerons notre produit lorsque nous aurons atteint notre objectif qui est d’arriver à une précision de 5 % avec une fiabilité et une répétabilité conformes à nos standards », précise la directrice.
● En Espagne, avec des maths
À défaut de pouvoir prendre en photo les baies cachées, l’université de La Rioja et Mines Paristech ont testé l’utilisation du modèle booléen pour estimer leur nombre. Selon les auteurs, « l’avantage pratique de ce modèle repose sur sa capacité à estimer le nombre de particules présentes dans une image, même en présence d’erreurs de segmentation ou d’occlusions ». Trois jeux de données ont été étudiés : d
Le modèle booléen permet d’améliorer la prédiction  du nombre de baies par grappe par rapport à un modèle « naïf ». DR
es images de grappes de quatre cépages différents (cabernet sauvignon, grenache, syrah et tempranillo), des images de vignes captées manuellement et des images de vignes prises depuis un quad à 7 km/h. Les grappes ont été vendangées et pesées suite à l’acquisition des images. La comparaison entre les résultats constatés et estimés montre que le modèle booléen permet d’améliorer la prédiction du nombre de baies par grappe par rapport à un modèle « naïf2 ».

Ovalie innovation : un radar pour « voir à travers » le feuillage

Ovalie innovation, filiale R&D des coopératives Maïsadour et Vivadour, utilise un radar pour estimer le rendement. Cette technologie permet de travailler de manière indifférente sur les cépages rouges et blancs et surtout de détecter les grappes masquées par le feuillage ! Sur deux millésimes, l’équipe de chercheurs a mené des tests dans les vignes de l’IFV Sud-Ouest. Un radar monté sur un petit robot télécommandé a balayé les pieds de vigne. Les signaux renvoyés par le radar ont ensuite été corrélés avec les résultats de la vendange manuelle. Ce travail a permis de générer un algorithme capable d’estimer le rendement en kg/ha. La marge d’erreur est à ce jour de 10 % par rapport à la réalité.
« Il est possible de passer une seule fois, à la véraison. Les passages peuvent aussi être multipliés, sachant évidemment que plus on se rapproche de la date de vendange, plus l’estimation est proche de la réalité », indiquait le chargé de projet Patrice Galaup lors de la journée de démonstration organisée par l’IFV, Vinseo et Agri Sud-Ouest innovation en juillet dernier. Maintenant que la preuve de concept est faite, Ovalie innovation va travailler sur les possibles vecteurs motorisés capables de transporter le capteur radar. Le quad sera le premier à être testé. L’objectif étant cette année de déterminer la vitesse d’avancement optimale pour estimer le rendement.

Un module à sept caméras chez 3D aerospace

Avec eHermes, la société albigeoise 3D Aerospace propose de compter le nombre de grappes visibles. Pour ce faire, les sept caméras présentes dans le module fixé au capot du tracteur prennent la vigne en photo. Les grappes sont repérées par traitement d’images et géolocalisées au pied près. À chaque passage du tracteur (pour les travaux en vert comme l’effeuillage, le désherbage mécanique ou la pulvérisation), le nombre de grappes visibles est mis à jour. « Plus le nombre de passage est important, plus la marge d’erreur se réduit entre nos résultats et la réalité. Et nous arrivons à détecter jusqu’à 90 % de toutes les grappes d’une parcelle », indique Benjamin Kawak, le fondateur de 3D Aerospace.
L’autonomie de l’appareil caméra et GPS est de douze heures. Lorsque la journée de travail est finie, il suffit de retirer le module aimanté du capot et de le recharger. Les données sont transférées en WiFi vers le logiciel de traitement d’images de 3D Aerospace. Le nombre de grappes visibles est calculé en ligne et il est possible de générer une cartographie différentielle du nombre de grappes par zone ; à la manière des cartes de vigueur.
« On entraîne encore l’algorithme à repérer les grappes dans les images. Mais nous sommes en dernière année d’expérimentation », signale Benjamin Kawak qui a fait tourner le prototype sur les vignes de Plaimont Producteurs et Vinovalie. « L’année prochaine nous serons prêts pour commercialiser la solution DeVines. » DeVines comprendra alors trois services : l’estimation du rendement par nombre de grappes, l’estimation du pourcentage de véraison sur cépages rouges et la détection des pieds manquants.
À l’horizon 2023, l’entreprise compte être en mesure d’estimer le poids des grappes. « Sur la base des grappes visibles, en comparant les images d’un passage à l’autre, il devrait être possible de mesurer l’évolution du diamètre moyen des baies. Avec ces mesures et une base de données de référence, on pourra extrapoler le poids des grappes », estime Benjamin Kawak.
 

(1) Source : Low-Cost, Computer Vision-Based, Prebloom Cluster Count Prediction in Vineyards, https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fagro.2021.648080/full
(2) Source : https://www.hindawi.com/journals/js/2018/9634752/

Leur objectif ? Mettre au point une méthode rapide, non destructive, en utilisant des capteurs embarqués sur des engins viticoles ou des quads.

Sur une même parcelle, d’une année à l’autre : d’où vient la variabilité des rendements ?
Avec des différences généralement supérieures à 15 %, pouvant dépasser 35 % sur une même parcelle, le rendement de la vigne est éminemment variable d’une année à l’autre. Selon la littérature scientifique, ces écarts peuvent s’expliquer à 60 % par les variations du nombre de grappes, 30 % par les variations du nombre de baies et 10 % par celles de la masse moyenne d’une baie. Toutefois, ces pourcentages sont encore discutés.
Les facteurs qui influencent le rendement peuvent aussi être classés en deux catégories : ceux maîtrisés par les vignerons (taille, fertilisation…) et les facteurs liés à la nature. Parmi ces derniers, on sait maintenant que la disponibilité en azote et en eau a une influence majeure sur l’élaboration du rendement de l’année… et sur celle de l’année suivante. Ainsi, des déficits hydriques sévères avant la véraison vont réduire la taille des baies pendant la saison en cours, mais aussi le nombre de grappes par pied pour les saisons suivantes en affectant les bourgeons latents en formation.

Article paru dans Viti Leaders n°463 de septembre 2021

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