Arbres dans les vignes : du concept au concret

Si la vigne conduite en monoculture reste une large réalité, de plus en plus de voix s’élèvent pour défendre une (ré)introduction d’arbres dans les parcelles viticoles. Le concept soulève des interrogations, mais certains vignerons qui le pratiquent semblent conquis. Des expérimentations en cours permettront d’apporter des réponses pour tirer le meilleur de la complémentarité entre les espèces.

Problèmes de maladies du bois, de baisse de rendement, des fortes pressions des ravageurs et des maladies, sans oublier la (re)émergences de phylloxera, xylella, ou flavescence dorée ! Le modèle viticole développé ces dernières décennies serait-il responsable de ses propres maux ? Pour Yves Gabory, directeur Mission Bocage intervenu lors de l’assemblée générale de Terra Vitis Loire à Panzoult (Indre-et-Loire), le 19 avril dernier, il n’y a pas de doute : « Les vignes conduites actuellement sont très sensibles. Avant que l’homme ne l’exploite, la vigne était une liane grimpant aux arbres et bénéficiant de leur ombre, de matière organique, de minéraux et d’autres équilibres biologiques. Il faudrait repartir d’une feuille blanche pour concevoir le nouveau modèle viticole ; une réflexion générale à mener de pair avec des changements de réglementation et de techniques. »

Pour Yves Gabory, directeur Mission Bocage, les vignes conduites actuellement sont très sensibles. CP : O.Lévêque/Pixel Image

Pour lui, multiplier les cultures sur une parcelle viticole, avec des arbres fruitiers notamment, permet de produire plus grâce à la complémentarité, sur des productions diversifiées. « Les instituts techniques doivent conduire des essais pour optimiser l’apport des arbres et des haies sur la présence d’auxiliaires, la structuration du sol, la biodiversité, la réduction de l’érosion ou de la sécheresse. L’agroforesterie en grandes cultures a montré ses intérêts. Pour ma part, j’imagine un rang d’arbres tous les douze à quatorze rangs de vignes. »

Tailler moins sévère

Le mode de taille devra aussi évoluer. « Une taille forte oblige la vigne à faire du bois et à fructifier la même année, ce qui est un gros effort. Taillée de façon moins sévère, la vigne se fatigue moins et elle peut tirer les bénéfices des arbres, avec des fructifications à ses extrémités pour atteindre le soleil, une diminution des risques de gel de printemps par sa prise de hauteur, moins de maladies car plus aérée, des grappes plus petites mais plus nombreuses. C’est une réduction du temps de taille et de la protection fongique. »

Si beaucoup de vignerons présents semblaient sceptiques, d’autres comme Didier Vazel du Domaine de Brizé montrent de l’intérêt : « Sur une petite parcelle, j’ai laissé cent bourgeons par pied en taillant moins court. Les vignes résistent mieux aux maladies du bois et aux maladies cryptogamiques car elles sont plus aérées, avec un rendement équivalent et un bon niveau qualitatif lié aux baies plus concentrées ! »

Si les bénéfices semblent multiples, certaines interrogations devront encore trouver des réponses, comme sur la mécanisation, la rentabilité économique, le risque d’attirer de nouveaux ravageurs comme Drosophila suzukii ou la complexité de faire évoluer les AOC…

 

 Il faudrait repartir d’une feuille blanche pour concevoir le nouveau modèle viticole , Yves Gabory, Mission Bocage

 

Delphine et Benoît Vinet, Domaine Émile Grelier, Gironde
« Enfin, on s’intéresse à l’agroforesterie viticole ! »


Quelle est votre démarche autour de l’agroforesterie ?
Delphine et Benoît Vinet : Cette démarche résulte d’un constat : même en agriculture bio, la vigne reste une monoculture. Et les monocultures ne sont pas des modèles de biodiversité. Comment replacer la vigne au cœur d’un écosystème ? C’est la question que nous avons posée à des associations pour la nature et l’environnement, et la réponse a été unanime : la base de la démarche, c’est l’arbre ! Planter des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique, limiter les écarts de température, stabiliser les sols, gérer l’eau, remonter les nutriments, casser les vents dominants, et surtout pour créer du relief et attirer oiseaux et chauves-souris qui régulent naturellement les insectes. Les haies fournissent aussi des abris et de la nourriture à une faune variée, attirent les insectes, protègent du gel…

Mais quels arbres planter, où et à quelle densité, et pour quelle valorisation ?
D. et B. V. : Les arbres sont directement insérés dans les rangs entre les pieds de vigne pour une densité de 40 arbres/ha ! Trois quarts de fruitiers pour un quart de feuillus, cela promet de belles récoltes en perspectives pour subvenir aux besoins familiaux dans un premier temps, avant de proposer des cueillettes ultérieurement. Nous vivons dans un secteur où il n’y a que de la vigne. La Gironde est donc en insuffisance alimentaire. Planter des arbres fruitiers c’est aussi participer au développement des fruits locaux ! Et nous avons déjà des demandes d’approvisionnement en fruits.

Quel bilan tirez-vous de votre expérience ?
D. et B. V. : L’étude Vitiforest à laquelle nous avons participé montre que l’arbre n’induit pas de concurrence avec la vigne et que son ombre, qui n’est pas opaque et qui tourne, ne pénalise pas la récolte. Plus on est prêt des arbres, moins il y a de ravageurs et plus il y a de pollinisateurs, d’où la nécessité d’une densité suffisante d’arbres sur le vignoble. Concernant la qualité du raisin, nous n’avons pas constaté de différence avec un vigneron bio ou en biodynamie : quand le travail est bien fait, le raisin est de qualité !
La mécanisation doit être repensée pour les rangs dotés
Delphine et Benoît Vinet ont planté près de 400 arbres dans leurs 8 ha de vignes. Ils ont reçu en 2018 le grand prix de dynamique territoriale par l’association Fermes d’avenir. CP : Philippe Laurençon
d’arbres : tracteurs sans cabine, taille-haies pour prétailler. Cette technique est si convaincante qu’elle a été adoptée sur tout le vignoble : facile à manier, rapide, moins de tassement du sol.
Sur les ravageurs, le résultat le plus intéressant concerne la régulation de papillons des vers de la grappe. Planter des arbres permet aux chauves-souris de se déplacer sur tout le vignoble, pour manger jusqu’à 3000 insectes par nuit et par individu. L’étude Vitichiro, dont nous sommes un lieu d’observation, a montré que cela fonctionnait.
Par contre, introduire des arbres dans une culture c’est apprendre un nouveau métier ! Comment tailler les arbres, comment les soigner, à quel moment récolter les fruits…

 

Dephy Expé DiverViti
La déspécialisation viticole à l’étude

CP : Vinopôle Centre Val-de-Loire
Diversifier les agroécosystèmes viticoles pour réduire les intrants : voici l’ambition du nouveau projet Dephy Expé DiverViti, porté par l’IFV. Trois sites permettront de tester différentes modalités : Amboise (Indre-et-Loire), avec des rosiers plantés en 2013 dans les vignes (deux rangs tous les sept rangs de vignes) ; Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), où sera testé l’agroforesterie sur 3,5 ha avec des plantations en 2019 (4 500 pieds de vignes, complétés par d’autres cultures) ; et Piolenc (Vaucluse), avec l’intégration de plantes aromatiques dans les vignes.

Pour David Lafond, de l’IFV d’Angers, en charge du projet de Montreuil-Bellay, l’objectif du projet est de tester des pratiques agricoles innovantes que les vignerons ne pourraient pas eux-mêmes tester chez eux. « Nous échangeons actuellement pour définir le protocole : schéma de plantation, types d’arbres, modalités de conduite de la vigne avec une taille qui devrait être semi-minimale. Nous allons vérifier les effets sur la productivité et la qualité des raisins, les sensibilités aux maladies cryptogamiques, mais aussi aux maladies du bois, le tout dans une recherche de rentabilité. Nous sommes dans une logique de réflexion à long terme, avec le pari de sortir de la spécialisation des productions agricoles. Le vigneron ne deviendra pas forcément producteur d’autres cultures, mais il devra y avoir des synergies avec d’autres productions. »

 

 

Viti Leaders de juillet-août 2018

Article paru dans Viti Leaders de juillet-août 2018

Viticulture

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15