Le wwoofing vu par des hôtes vignerons

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Le réseau Wwoof fête ses 50 ans. Depuis 1971, des bénévoles du monde entier, curieux des choses de l’agriculture biologique, viennent découvrir le temps d’un séjour les métiers et la vie des producteurs. Les vignerons Jacques Réjalot et Sylvain Liotard partagent leurs expériences d’hôtes.

Née en 1971 en Angleterre grâce à une secrétaire londonienne qui souhaitait aider de petites fermes engagées dans l’agriculture biologique pendant ses week-ends, l’association Wwoof (Working Weekends on Organic Farms) s’est développée à travers le monde. En France, l’association Wwoof France a été créée en 2007. Désormais, la structure compte quelque 18 000 wwoofeurs.
Pour ceux qui ne seraient pas au fait du wwoofing et du vocabulaire propre au mouvement, les wwoofeurs sont des bénévoles « sincèrement intéressés par l’agriculture biologique et les modes de vie durable », comme l’explique l’association. Pour un week-end, une semaine, ou même un mois, ils viennent « s’initier aux savoir-faire et aux modes de vie biologiques, en prêtant main-forte aux hôtes qui leur offrent le gîte et le couvert ». Les hôtes sont pour la plupart agriculteurs. En France, ils sont près de 2 000 à ouvrir leurs portes ; maraîchers, arboriculteurs, apiculteurs, boulangers, éleveurs… souvent sous plusieurs casquettes. Avec plus de 60 000 viticulteurs en France (1) et 14 % des surfaces de vigne converties à l’agriculture biologique (2), il n’est pas étonnant de retrouver des hôtes vignerons dans le réseau hexagonal.

Charte des bonnes pratiques

Julie, une wwofeuse venue au Domaine des 13 lunes, a été associée à la préparation de bouse de corne. Photo : domaine des 13 lunes
Pour ceux-là, la charte du wwoofing est le fil d’Ariane qui les guide dans le bon déroulement des séjours. Ainsi, l’association recommande une participation des wwoofeurs aux occupations du domaine de 5 demi-journées, 5 jours par semaine. Le reste du temps les wwoofeurs sont libres de leurs activités. Par ailleurs, la charte rappelle que « les wwoofeurs n’ont pas d’obligation de rentabilité et n’ont aucun lien de subordination avec les hôtes. Ils ne reçoivent pas de rémunération et ils ne doivent en aucun cas remplacer un salarié. Dans les entreprises agricoles, l’accueil doit rester occasionnel, limité à deux wwoofeurs à la fois, et les séjours d’une durée maximale de 30 jours ». Le wwoofing, pensé comme un moment d’échange et d’apprentissage bénévole, se confronte au risque de passer pour du travail dissimulé s’il est mal borné.
Dans le cadre du wwoofing, le partage de la vie professionnelle va de pair avec le partage de la vie personnelle. Les vignerons qui accueillent des wwoofeurs ont donc à cœur de passer du temps avec eux en dehors de leurs heures de travail. Ainsi, au moins un repas par jour est partagé entre l’hôte et le wwoofeur et pourquoi pas aussi avec les autres salariés du domaine, la famille du vigneron.

C’est ce qu’explique Sylvain Liotard, vigneron fondateur du Domaine des 13 lunes à Chapareillan en Isère. « Au domaine, les repas de midi ne sont pas pris sur le pouce ! On fait une grosse coupure dans la cuisine-salon aménagée pour les wwoofeurs et les saisonniers. Dans cet espace confortable qui leur est dédié, on déguste les vins du domaine et d’autres. Pendant ce moment ultra-convivial, avec toute l’équipe du domaine, on enrichit notre culture des vins autour de repas préparés à tour de rôle par les uns et les autres. »

Des wwoofeurs en immersion au domaine des 13 lunes

« J’ai repris le domaine qui compte 5,5 ha de vigne en 2017, continue Sylvain Liotard, auparavant menuisier. Et je n’avais pas en tête de devenir hôte. Mais j’ai reçu plusieurs demandes de wwoofeurs intéressés par notre façon de travailler en bio et biodynamie. Je me suis renseigné sur le wwoofing auprès d’un voisin éleveur membre (3).
À l’automne 2020, lorsque j’ai pu proposer un hébergement indépendant de notre maison familiale, je me suis lancé ! Je réponds positivement à des demandes d’avril à mi-juillet puis pendant la période de vinification, sur 2 à 4 semaines consécutives, un wwoofeur à la fois. Pour bien intégrer un wwoofeur à l’équipe et apprécier les moments de partage sur des périodes professionnellement intenses, j’ai besoin de me réserver des moments seuls et en famille. Sollicité par de nombreux wwoofeurs, j’accueille des personnes qui ont envie de s’impliquer dans le monde de la vigne et du vin, qui veulent en faire leur métier ou qui y sont déjà. Dernièrement, on a reçu par exemple un restaurateur parisien qui a “profité” de la fermeture de son établissement pour découvrir les coulisses du vin, se créer un réseau de vignerons dans le coin. Je reçois aussi des sommeliers wwoofeurs. Souvent, ils dégustent des vins non finis pour la première fois ! Un autre wwoofeur a, quant à lui, la volonté de s’installer dans le Bugey à terme. Pendant son séjour, en parallèle des coups de main au domaine, il a sillonné la région en allant chez des vignerons amis. Je vis le wwoofing comme un partage constructif, pour le wwoofeur et pour l’hôte que je suis. À chaque séjour, j’apprends des wwoofeurs. »

Des wwoofeuses du monde entier au domaine Pichon

Et ce n’est pas Jacques Réjalot qui contredira son homologue isérois, bien que son expérience d’hôte soit différente. Depuis cinq ans, le vigneron âgé de 65 ans, propriétaire du domaine familial Pichon, à Saint-Léon dans le Lot-et-Garonne, accueille des wwoofeurs. Enthousiasmé par le wwoofing, cet ancien directeur technique de la cave coopérative de Buzet est même devenu référent de l’association sur son département. « J’ai découvert le wwoofing grâce à mes enfants. Ils ont été wwoofeurs. Ce qu’ils m’ont raconté de leurs séjours et de l’idée même du wwoofing m’a plu, raconte Jacques Réjalot. Alors quand j’ai arrêté les chambres d’hôtes pour me recentrer sur le métier de vigneron, j’ai eu l’envie de mobiliser l’espace et le temps libérés pour accueillir des wwoofeurs. C’était en 2017. Depuis je reçois très régulièrement des wwoofeurs qui se révèlent être à 95 % des wwoofeuses ! »
Contrairement à Sylvain Liotard, Jacques Réjalot privilégie les séjours plus courts, de 15 jours maximum. « Et pendant le confinement, j’ai accepté les demandes des wwoofeurs sur 2-3 jours, pour leur permettre de trouver un bol d’air frais en pleine campagne. » Lui qui se décrit comme un œnologue, raconteur de pays et animateur de dégustations, est dans le wwoofing pour faire « découvrir et aimer la vigne, le vin, les traditions locales et la vie rurale en Gascogne. La recherche d’une faible empreinte écologique, la pratique de la biodynamie et l’approche de l’agroforesterie guident par ailleurs nos pratiques vigneronnes. C’est tout ça que je partage. » Et on l’écoute volontiers à l’envie.
« Mais la relation n’est pas que dans un sens, précise le vigneron. Le wwoofing m’apporte un enrichissement intellectuel de grande importance », intergénérationnel et multiculturel puisque les wwoofeuses reçues au domaine Pichon ont globalement entre 20 et 35 ans et viennent de pays étrangers, sauf l’année passée.
Avec la Covid-19, le wwoofing au domaine Pichon est devenu plus francophone mais pas moins source de créativité. « Par le wwoofing, j’ai rencontré Jérémie Pichon, impliqué avec toute sa famille dans la vie quotidienne avec zéro déchet. Il est venu sur le domaine, on a beaucoup échangé sur notre façon de voir et de faire la transition écologique et de fil en aiguille on s’est lancé ensemble dans la réalisation d’une cuvée éphémère qui crée le moins de déchets possible. Le wwoofing génère vraiment des aventures inattendues. Il m’empêche de m’enfermer dans mes pratiques. Écouter les wwoofeurs ouvre de nouveaux horizons. C’est le cas lors des dégustations par exemple. Les jeunes du monde entier me font découvrir des profils de consommateurs que je ne connais pas. Et beaucoup d’expressions nouvelles aussi ! », plaisante Jacques Réjalot.

Leurs conseils d’hôtes

Interrogés sur les conseils à transmettre à des vignerons qui seraient potentiellement intéressés pour devenir hôtes Sylvain Liotard et Jacques Réjalot ont globalement les mêmes recommandations. À commencer par la précision dans la description de son profil sur la plateforme Web de Wwoof France.
Sylvain Liotard détaille par exemple dans le sien une liste des activités que le wwoofeur pourra partager (vinifications, traitements biodynamie, taille de la vigne…), les horaires de travail (4 à 5 heures maximum par jour) et le fait que « nous ne sommes pas très bons en anglais, mais on y travaille » !
« Le profil hôte que l’on fait et les commentaires des wwoofeurs sont très importants. Ils orientent en grande partie les demandes de wwoofeurs, indique Jacques Réjalot. Ensuite, il ne faut pas craindre d’apprendre à être pédagogue. Au début, je tâtonnais sur la nature des tâches que je pouvais partager. L’expérience m’a fait prendre conscience que les tâches que je considère comme complexes telles les tries successives à la récolte peuvent être pratiquées par les wwoofeurs si je les explique bien. Le wwoofing oblige à formaliser des gestes que l’on fait sans y réfléchir, par habitude.

"Enfin, il faut évidemment avoir envie de prendre du temps et de partager sa vie pro et perso avec les wwoofeurs, sur des moments définis au préalable afin d’éviter les non-dits et les malaises. Et de toutes ces rencontres émergent parfois des relations professionnelles, des amitiés durables et même des amours ! Les raisons d’adhérer au mouvement sont tellement variées d’un hôte à l’autre », conclut Sylvain Liotard.
 

(1) Approximation D’après le recensement agricole, en 2010 il y avait 68 500 exploitations spécialisées en viticulture.
(2) Source Agence Bio, surface en 2019.
(3) L’adhésion à l’association pour les hôtes est de 35 € la première année, 30 € ensuite.

 

ÉPHÉMÈRE. Au domaine Bichon (47), Jacques Réjalot accueille régulièrement des wwoofeurs. En 2020, il a lancé « la cuvée de wwoof », une cuvée éphémère réalisée avec un wwoofeur présent sur le domaine au moment des assemblages.

PROFILS DES HÔTES. La plupart des hôtes du réseau Wwoof France ont entre 35 et 44 ans. Les régions qui comptent le plus de fermes adhérentes sont l’Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine. Le maraîchage est la filière la plus représentée dans le réseau. Les agriculteurs hôtes se doivent de « cultiver la terre avec des techniques écologiquement saines », d’après la charte du wwoofing ; la plupart sont certifiés agriculture biologique.

PROFILS DES WWOOFEURS. 72 % ont moins de 34 ans. 1 % sont des personnes retraitées.
En moyenne, d’une année à l’autre, les trois quarts des wwoofeurs pratiquant du bénévolat en France sont Français. Le pays étranger le plus représenté est l’Allemagne, avec 3 % des wwoofeurs. Les wwoofeurs sont souvent des citadins. Depuis cinq ans, les jeunes diplômés en Bac + 5 sont de plus en plus nombreux à faire du wwoofing. « Ils trouvent matière à réfléchir dans les fermes du réseau Wwoof et le monde rural », évoque Cécile de l’association Wwoof France.

David et Carolina Lecoufle (Gironde) : « On accueille des familles en wwoofing »
Ingénieur et architecte de métier et après une carrière à l’international, David et Carolina Lecoufle ont choisi de s’installer  en arboriculture avec un système de vergers-pâtures. Photo : Lecoufle
Durant l’été 2020, David et Carolina Lecoufle ont repris une ferme de 13 ha dans la petite région de Bazas en Gironde.
« Tous les projets agricoles que nous souhaitons concrétiser se font de manière participative avec des wwoofeurs. Dans notre vie, nous avons beaucoup voyagé et partagé des moments de vie formidables avec les gens que nous avons rencontrés en chemin. Sur la ferme, nous changeons de rôle en devenant hôte. Et tout en restant à domicile, grâce aux wwoofeurs, nous vivons de riches moments d’échanges. Ceci doit aussi être le cas pour nos deux enfants. C’est pour cela que nous précisons dans notre profil wwoof que nous accueillons volontiers des wwoofeurs avec enfants. De notre courte expérience de wwoofing – nous sommes hôtes depuis septembre dernier – les familles se révèlent très impliquées, tant dans le partage de savoir-faire que dans la vie quotidienne. Nous partageons tous les repas du midi ensemble les jours de semaine. Les soirs d’école, nous privilégions des moments à 4. Mais nous fournissons néanmoins aux familles de quoi cuisiner dans leur gîte. Pour trouver un équilibre, nous sommes partis sur un accueil une semaine sur deux. En juillet et août, nous n’accueillons pas de wwoofeurs. Place aux amis et à la famille ! Ce fonctionnement nous réjouit. Le wwoofing enrichit notre vie de famille. Si vous avez vous aussi des enfants, n’hésitez vraiment pas à accueillir des familles. »

 

Article paru dans Viti Leaders n°462 de juillet-août 2021

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