Ils font partie des premiers viticulteurs payés pour leurs services environnementaux

Menés un peu partout en France par les agences de l’eau et les collectivités, les “paiements pour services environnementaux” doivent inciter les agriculteurs à développer des pratiques favorables à la ressource en eau et à la biodiversité. Dans les Pyrénées-Orientales, près d’une centaine de viticulteurs se sont lancés dans cette expérimentation.

Depuis un an, au domaine Sanac, dans les Pyrénées-Orientales, les tournières conservent leur enherbement, dix hectares supplémentaires sont enherbés grâce à des semis et la surface échappant aux herbicides est passée de trois à six hectares. Labellisée HVE niveau 3, l’exploitation de 50 hectares a accentué son virage vers des pratiques culturales plus vertueuses grâce aux paiements pour services environnementaux (PSE). “Je travaille en conventionnel depuis douze ans, c’est un vignoble qui a six ou sept générations derrière lui, expose Pierre Sanac. Il ne m’est pas possible de passer du jour au lendemain sur du bio ou des méthodes totalement différentes. Le PSE me met un pied à l’étrier tout en restant compétitif.”Pour l’année 2022, le domaine Sanac devrait voir ses efforts récompensés par une rémunération d’environ 8 000 euros.

L’analyse de son bilan annuel, qui déterminera le montant perçu, est entre les mains de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et de la communauté de communes Albères Côte Vermeille Illibéris (CCACVI). La première finance cette expérimentation de 2020 à 2026. La seconde en est le maître d'œuvre. “Nous avons passé un appel à projets auprès de tous les territoires que nous couvrons et qui présentent des enjeux spécifiques sur la quantité, la qualité de l’eau et sur la biodiversité, resitue Kévin Boisset, chargé d’intervention agriculture à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. L’idée était de proposer un mode de contractualisation innovant afin d’améliorer les pratiques agricoles et leur impact sur l’environnement.”

Non cumul des aides et engagement sur cinq ans

Dotée d’un budget de 40 millions d’euros, la démarche a séduit la CCACVI et Perpignan Méditerranée Métropole, des territoires où l’enjeu concerne surtout les captages prioritaires et la préservation de l’eau potable. Chez l’une comme chez l’autre, les agriculteurs engagés sont quasiment tous viticulteurs : au nombre de 45 chez la première, pour un budget d’environ 500 000 €, et de 57 chez la seconde, pour plus de 800 000 €. Afin de participer à la démarche, un critère crucial était de ne bénéficier ni d’aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique ni de mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).

Nous avons d’abord établi avec eux un diagnostic de leurs pratiques sur une année de référence, 2020, puis nous avons défini ensemble une trajectoire sur cinq ans, décrit Florence Gouvrit, animatrice captages prioritaires à Perpignan Méditerranée Métropole. Cela signifie qu’ils se sont engagés à atteindre des résultats. Soit en maintenant ce qu’ils font déjà, soit en allant plus loin dans leurs pratiques.” Ces “pratiques” concernent deux volets imposés par l’agence de l’eau : les systèmes de culture et les infrastructures paysagères. Conseillés par la chambre d’agriculture, invités à des journées techniques organisées par les collectivités, les agriculteurs et les viticulteurs sont incités à réduire l’utilisation d’herbicides, à remplacer l’azote minéral par de l’azote organique ou encore à augmenter le couvert végétal en réalisant des semis d’enherbement. “Les semis demandent beaucoup de temps, constate le vigneron Pierre Sanac. Le désherbage à l’intercep, je pense que c’est 15 % à 20 % en plus.”

Des indicateurs de suivi adaptés au territoire

Conscientes des efforts que représente le passage à de nouvelles méthodes, les collectivités ont choisi “des indicateurs faciles à mettre en œuvre et pertinents vis-à-vis du territoire”, selon Christelle Alengry, chargée de mission à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. La rotation des cultures a été écartée, de même que la présence de haies. Quant aux herbicides, ils restent tolérés à une faible dose. “Ici nous avons de la plaine et une côte dont la pente peut atteindre 80% sur certains coteaux, décrit Antoine Parra, président de la CCACVI. C’est un terroir non mécanisable. Et, il y a une concurrence hydrique très forte entre l’herbe et la vigne.

À Banyuls-sur-Mer, Romuald Peronne est en plein dans cette problématique. Alors le vigneron indépendant, également président du cru Banyuls Collioure, continue de recourir aux herbicides dans son vignoble labellisé HVE niveau 3. Avec sa vingtaine d’hectares, il devrait percevoir environ 2000 € pour l’année écoulée. Le montant des PSE est en effet calculé sur l’ensemble de la surface agricole utilisée. “Les agriculteurs reçoivent des points correspondant à chaque indicateur, ce qui donne une moyenne à l’hectare qui est multipliée par la surface de l’exploitation”, synthétise Christelle Alengry. Les rémunérations varient de 80 € à 180 € par hectare, selon l’ambition des objectifs. S’il ne suit pas sa trajectoire, l’exploitant n’est pas pénalisé, simplement il ne perçoit pas de PSE.

Un travail adminsitratif à faire en plus pour justifier de l'aide

Mais toucher ces sommes implique de fournir des données de suivi. Et aux yeux d’Antoine Parra, cela en a découragé certains. “Neuf agriculteurs ont arrêté dès la première année à cause des obstacles administratifs”, regrette le président de la CCACVI. Romuald Peronne, lui, qualifie la démarche d’“usine à gaz”, pointant “les papiers à fournir, les délais et les règles qui évoluent. C’est un très bon esprit, mais si la communauté de communes ne nous aidait pas, on ne le ferait pas.” Ce que nuance Pierre Sanac. “Ma traçabilité était déjà à jour, ça ne m’a pas posé de difficulté.” Interrogé sur ce point, Kévin Boisset répond que “l’administratif est beaucoup moins lourd que pour les Maec ou la PAC”.

Après cette première année d’expérimentation, Romuald Peronne et Pierre Sanac abordent l’avenir différemment. Prudence chez le premier. “Entre la baisse de la consommation et l’augmentation des charges, ce n’est pas le moment de faire des investissements ni de changer de philosophie”, estime-t-il. Optimisme chez le second qui envisage d’acquérir un intercep plus polyvalent. “Les PSE sont là pour ça, ils peuvent couvrir tout ou une partie des investissements, encourage Christelle Alengry, de la chambre d’agriculture. Ils permettent aux agriculteurs de tester des choses, tout en étant reconnus pour leurs efforts.

 

Cinq ans d’expérimentation, et après ?
Cette expérimentation de PSE est menée et financée partout en France par les six agences de l’eau1. Elle a été demandée par le ministère de la Transition écologique dans le cadre du plan biodiversité 2018. Il est encore trop tôt du côté de l'agence Rhône-Méditerranée-Corse pour esquisser des suites. Mais chez son homologue d’Adour-Garonne, où l’expérimentation a débuté dès 2019, la réflexion est un peu plus avancée. “Les PSE sont des outils qui pourraient être utiles, sur une période de transition, pour accompagner les prises de risques techniques et financiers des acteurs agricoles dans l’attente de conforter un modèle économique pérenne. Leurs financements pourraient d’ailleurs inclure des fonds privés comme des fonds publics", estime Sylvie Jégo, chef de service.
(1) pse-environnement.developpement-durable.gouv.fr

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