« L’uniformisation des cépages appauvrit la “vinodiversité” »

Préserver et promouvoir les cépages originaux de la Méditerranée, telle est la vocation de Wine Mosaic. Alain Carbonneau, retraité actif de Montpellier SupAgro, porte ce message empreint de diversité où les cépages ont une place cruciale… mais non exclusive. Le mode de taille, la densité de plantation, l’architecture du vignoble sont aussi à protéger de la standardisation.

L’association Wine Mosaic milite pour la « vinodiversité ». Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

Alain Carbonneau : En termes de consommation, les vins de cépage connaissent un succès mondial. Le sauvignon, le chardonnay, la syrah… dominent le paysage commercial et gustatif. Néanmoins, en parallèle de ce marché hégémonique qui participe fortement à appauvrir la diversité des cépages en Méditerranée, des amateurs de vin recherchent de la typicité, de la « vinodiversité ».

Comment augmenter la « vinodiversité » ?

A. C. : Les moyens sont nombreux. Cela passe, en partie, par le sauvetage de cépages locaux devenus rares dans les vignobles. Certains sont devenus anecdotiques depuis si longtemps qu’il faut un travail d’ampélographe pour les identifier. C’est aussi faire sortir des variétés des conservatoires. À côté de cela, toujours dans l’aspect diversité variétale, il ne faut pas oublier la création qui, elle aussi, participe à la diversité. En tant que chercheur associé à l’Inra, j’ai souvent travaillé dans ce sens. Les nouveaux cépages interspécifiques de l’Inra, pour parler d’eux, ont l’avantage d’être résistants au mildiou et à l’oïdium ; ce qui n’est pas le cas avec des cépages locaux. Mais tous apportent quelque chose de différents.
La vinodiversité ne doit pas être uniquement liée aux variétés. Le système cultural a son importance. L’architecture, la taille, la date de récolte, le mode d’entretien du sol… tout cela participe à modeler le goût du vin. Et depuis quelques décennies, on constate un appauvrissement de la diversité sur certains de ces facteurs.

Le manque de diversité est donc génétique et cultural ?

A. C. : Regardons le cas de la France, un unique modèle est promu par les élus siégeant dans les instances de décisions : l’espalier à haute densité. Ce n’est pas un mauvais modèle mais il est loin d’être le meilleur partout, et surtout en Méditerranée. On assiste à une harmonisation de l’architecture du vignoble, avec quelques exceptions de gobelets maintenus sur les coteaux et de cordon libre dans les plaines fertiles.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

A. C. : Pour l’espalier, une des raisons principales est technique ; c’est une architecture facilement mécanisable. Pour la haute densité, cela relève plus de la sociologie, à mon avis. Ce système, traditionnel dans certaines régions, est associé à une image de notoriété, de qualité des vins. Avec les problématiques de stress hydrique et de canicule, de nombreux essais montrent que l’espalier haute densité n’est pourtant pas la modalité qui produit les vins les plus appréciés. Il est regrettable que nous, chercheurs, ne sachions pas faire mieux passer ces messages.

Pour revenir aux cépages locaux, sont-ils tous bons à promouvoir ?

A. C. : C’est une bonne question que je compléterais d’une deuxième : pourquoi ces variétés ont-elles été abandonnées ? Pour certains cépages, on se le demande. Je prends l’exemple du castets, originaire mais absent du Sud-Ouest, que l’on trouve aujourd’hui en Espagne dans la Rioja mais aussi de manière très anecdotique sur la zone d’AOC palette en Paca. Ce cépage donne des vins équilibrés, avec une belle originalité et il se cultive très bien. Autre exemple : le rivayrenc qui existe en blanc, gris et noir. Vinifié vin blanc, il donne des vins de très belle qualité, rivalisant avec les grands vins blancs français. En revanche, il est sensible à l’oïdium. Cela explique certainement pourquoi les vignerons ne l’ont pas replanté après la crise du phylloxera. A contrario certains cépages locaux n’ont jamais eu beaucoup de vertus ! Deux tiers des cépages connus font des vins moyens, parfois même très rustiques en bouche, mais un bon tiers est digne d’être connu.

L’association Wine Mosaic participe, par les dégustations que les membres organisent à travers le monde, à les faire connaître…

A. C. : Nous accompagnons le développement de ces cépages avec l’appui inestimable de vignerons qui maintiennent une diversité sur leur domaine. Et la relève pourrait être bien assurée. De nombreux jeunes vignerons, de tous les pays dans lesquels nous nous rendons, sont motivés. Le mouvement est amorcé.

L’intérêt, de niche pour le moment, pour ces cépages locaux sera-t-il suffisant pour les rendre plus disponibles chez les pépiniéristes ?

A. C. : C’est effectivement un facteur limitant à leur diffusion. Wine Mosaic doit travailler plus près de cette filière dans les années à venir. Avis aux intéressés !

Son coup de gueule
« La réglementation oui, mais pas sa rigidification, notamment dans les cahiers des charges des appellations. Cela participe au clivage “conservatisme”/“libéralisme”. »

La personne que vous aimeriez voir interrogée dans « Viti » ?
« Il y en a tant… Pour rester dans le Languedoc, je pense à Laurent Torregrosa, biologiste, pour qui le progrès ne peut pas être incarné par un élément mais par une combinaison d’éléments complémentaires et indissociables. Philippe Abbal, mathématicien vigneron, qui travaille sur un modèle de prédiction de la qualité des vins. Il va remplacer Robert Parker mais surtout son modèle donne une idée de l’impact positif ou négatif d’un changement de pratiques sur la qualité des vins. Mais il y a aussi Bruno Tisseyre qui s’intéresse de près aux nouvelles technologies. »

Son coup de cœur
« Les jeunes qui se lancent dans la filière. Je crois beaucoup en eux. Ils sont tous très intéressés par le respect de l’environnement, la qualité et l’originalité. »

Article paru dans Viti Les Enjeux de mai 2018

Viti Les Enjeux mai 2018

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