N’est pas sanctionné qui l’on croit

Difficile de faire de la Russie un marché export stratégique. Les ventes décollent aussi vite qu’elles s’effondrent. Mais si la crise de 2014-2015 touche tous les pays partenaires, certains réagissent mieux que d’autres.

Tous les 3-4 ans, l’export de vins vers la Russie connaît une crise. La dernière en date faisait suite à une modification des règles d’accès au statut d’importateur. Celle qui frappe actuellement le pays est bien plus complexe à cerner. Néanmoins, inutile de faire moult recherches pour comprendre qui sont les dindons de la farce.
Les producteurs de vins européens1 n’ont pas eu besoin d’embargo sur leurs produits pour voir les échanges commerciaux se mettre au pas. La chute vertigineuse du rouble a suffi. Au plus fort de la dévaluation de la monnaie, les échanges prévus entre les vignerons corses de la cave d’Aghione et l’importateur Rusimport ont été annulés.
En roubles, le vin commandé à l’été 2014 valait deux fois plus cher en ce début d’année 2015. La cave de Plaimont producteurs, après trois années de bon développement sur le pays, a préféré réduire la voilure. « Nous entretenons au mieux les relations commerciales existantes. Nous refusons toute demande de facilité de paiement et action de promotion sur de gros volumes. Le risque d’impayés est trop fort. Par rapport à 2014, les commandes sont divisées par deux », explique Philippe Anthony, le responsable export Europe de la coopérative gersoise. Les exemples de ce type sont légion.
L’effondrement des ventes est encore plus sérieux pour les petits pays producteurs ne bénéficiant pas d’une forte notoriété locale.

Des importateurs russes en recherche de marge

Liban, Grèce, Portugal, etc. pourraient passer à la trappe. En effet, pour passer l’orage sans trop de dommage, les importateurs retirent de leurs catalogues les références à faible turn-over.
En parallèle, les acheteurs réorientent leurs demandes vers des vins plus accessibles. « Depuis deux mois, le rouble se stabilise. Un euro vaut entre 55 et 60 roubles. La monnaie n’est pas encore à son niveau d’avant crise mais cette relative constance redonne des perspectives aux importateurs. Nous l’avons bien senti sur Vinexpo, affirme Philippe Anthony. Les importateurs, même haut de gamme, recherchent du vin dans des catégories inférieures à leur sélection habituelle. Ils cherchent aussi des appellations moins connues et du volume pour se dégager de la marge. Les bordeaux et chablis, leaders français sur le marché russe, sont tous alignés sur le même prix. La situation actuelle est, d’un côté, bénéfique aux côtes-de-gascogne. Nous envisageons donc de reparticiper aux journées vins & spiritueux Russie2 organisées par BusinessFrance en octobre prochain. Les importateurs et distributeurs présents lors de la dernière édition étaient très qualitatifs. »

Vladitto/fotolia

C’est quand tout le monde fuit qu’il faut faire sa place

« La plupart des médias français relaient une image négative de la Russie. Avec la chute du rouble, le pouvoir d’achat des Russes est bas, des importateurs sont en difficulté, ce qui, pour certains, n’est pas un mal car ce n’étaient pas les plus fiables, mais la Russie rebondit à chaque épisode de crise, indique Adrien Calatayud-Gomez de BusinessFrance Russie. Pour les vignerons déjà en affaires en Russie, il est important de soutenir leurs importateurs, de leur montrer de la confiance et de discuter des délais de paiement si la relation commerciale a toujours été bonne. Pour les primo-importateurs qui seraient intéressés par ce marché, je n’ai qu’un conseil : c’est quand tout le monde fuit qu’il faut faire sa place ! »
L’Italie, qui subit elle aussi le marché en dents-de-scie russe, applique à la lettre ce conseil. En mai dernier se tenait, à Moscou puis à Saint-Petersbourg, la 5° édition du « Grandi Vini Russia Tour 2015 ». 80 entreprises italiennes ont présenté aux dirigeants de l’opinion publique russe, aux importateurs, aux distributeurs et à la presse, leurs vins. Les journées V&S de Bussiness France pourraient jusque-là rivaliser avec la prestation italienne. Sauf que les organisateurs voisins ont fait déplacer 1 200 opérateurs et influenceurs dont le directeur de Simple, que l’ambassadeur italien en Russie était présent et que les discours rapportés font montre de beaucoup d’amicalité. Pas de Mistrals non livrés dans les placards...

L’Italie dans les petits papiers russes

« Nous, à l’IEM3 [ndlr : les organisateurs] nous croyons que le marché russe sera toujours un point de référence pour les vins italiens. Nous le démontrons non seulement par la récurrence de Grandi Vini Russia Tour mais surtout par notre présence forte et déterminée en cette difficile année 2015. Nous étions et nous sommes convaincus de la capacité de la Russie à rebondir. Ce pays a encore beaucoup de potentiel. Le marché du vin russe est un marché solide, avec beaucoup de place pour le développement et la diversification de la demande. Qui plus est, nous constatons un intérêt continu pour les vins italiens. Notre pays, leader en Russie, a été l’un des rares en 2014 à enregistrer une augmentation significative de la valeur des exportations (+ 2,1 %) sans voir diminuer les volumes expédiés (stables à 500 000 hl). »
Pour ceux qui veulent rivaliser avec les Italiens, voici quelques conseils : sachez que pour rentrer sur le territoire, chaque vin doit posséder une licence d’importation. Celui qui en a fait la demande aux autorités russes devient en devient propriétaire. « Un producteur va mettre 6 à 12 mois pour l’obtenir, un importateur un seul, estime Adrien Calatayud-Gomez. Cela va plus vite mais vous n’avez plus de prise sur votre vin. D’où l’intérêt de bien choisir vos importateurs. »

Moscou est la ville russe la plus consommatrice de vin mais aussi la plus bouchée en termes de nouveaux référencements chez les importateurs ayant un réseau centré sur la capitale.
« Saint-Petersbourg est bien sûr une autre ville clé, mais il ne faut pas oublier des villes comme Rostov, Iekaterinbourg, Perm, Oufa, etc. Ce sont des villes de plus d’un million d’habitants où il y a des opportunités. Les importateurs locaux sont moins nombreux mais moins sollicités », explique Adrien Calatayud-Gomez.
Mais cela va-t-il durer bien longtemps ? On le voit, les Italiens ou les Espagnols (notamment avec des expéditions de moûts et de vrac) sont très présents sur le marché russe. Et bientôt devrait émerger une autre concurrence toute aussi dynamique : celle des vins russes IGP.

Nikolai sorokin/FOTOLIA

Vers l’autosuffisance en 2020. En attendant, la France reste sur le carreau

La Russie entend être autosuffisante en vins entrée-milieu de gamme d’ici à 2020. Pour ce faire, le pays devra presque multiplier par deux sa surface actuelle de vigne pour aboutir à 140 000 ha.
Un programme ambitieux est déployé depuis un an. Une aide de 100 millions de dollars a été annoncée en faveur des pépinières de Crimée. En attentant qu’elles atteignent un rythme de fonctionnement de croisière et que la Russie soit autonome en pieds de vigne, le pays fait largement appel aux services des pépiniéristes... italiens. Et en France ? Rien. « L’administration ne nous délivre pas de passeport phytosanitaire pour exporter notre production. Pourtant avant la crise politique entre les deux pays nous avions des projets en Russie, confie un pépiniériste français reconnu. Il faut vraiment que les politiques français arrêtent de vouloir donner des leçons aux autres. À vouloir jouer le justicier intransigeant d’autres pays plus malins placent leurs entreprises. »

(1) La consommation des vins premium, malgré la crise, n’a pas baissé. Les riches restent riches !
(2) Cette prestation, organisée
chaque année, coûte 2 200 euros HT. La clôture des inscriptions est prévue pour le 1er septembre 2015. Le délai est court mais n’hésitez pas à
contacter BusinessFrance :
oleg.boudaev@businessfrance.fr
Plus d’infos sur : www.ubifrance.fr/Galerie/Files/Agenda/Journee-Vins-Spiritueux-Russie-Kazakhstan.pdf
(3) Exhibition Management IEM-international, une des plus grandes sociétés de services privées dédiées à la promotion du vin italien à l’international

Ils parlent de vin
La publicité sur l’alcool est interdite. Néanmoins, depuis janvier 2015, le gouvernement l’autorise pour le vin russe.
Pour la presse, sur le papier, Simple Wine News est la référence. Sur le Net, quelques bloggeurs parlent du vin surtout à l’attention de connaisseurs. Parmi eux, Denis Rudenko avec www.750ml.ru.
Les sommeliers russes sont réunis dans une association reconnue par l’ASI. La structure organise chaque année un concours du meilleur sommelier... Une bonne piste pour trouver des contacts de sommeliers.  www.sommelier.ru, contact : sidorov@sommelier.ru

Ils témoignent
Séverine Schlumberger, Domaine Schlumberger (Alsace)

« Nous exportons du vin en Russie depuis plus de 20 ans. Les volumes ont toujours été en dents-de-scie et sont actuellement plutôt bas. Notre importateur est en difficulté, il va peut-être fermer boutique. Ce n’est pas la première fois que l’on changera d’intermédiaire. En général, la personne qui nous suit change de société et continue à suivre nos vins. Tout est encore assez opaque, mais l’importateur est honnête sur sa situation. D’ailleurs cela résume bien la politique générale du pays : mystérieux mais réglo. Avant d’être payé, l’argent passe par quatre pays différents. Mais il arrive. Nous agissons donc comme avec n’importe quelle autre destination. Paiement comptant au début, 50 % sur les commandes suivantes puis délais de paiement de soixante jours après livraison. »

Jean-Charles Foellner, Château Paradis (Provence)
« Nous sommes référencés en Russie depuis septembre 2014. C’est une acheteuse de WineDom qui nous a sollicités. Suite à un Wine Tour en Provence, elle avait retenu le nom du domaine. En trois commandes, 10 palettes sont déjà parties. La société n’est pas « cofacée ». Les deux premières commandes ont été payées d’avance et livrées à leur succursale lettone. Pour la troisième commande, nous avons consenti un effort. Les relations sont bonnes, donnent des signes de stabilité et l’acheteuse n’a jamais négocié le prix proposé. Les trois gammes de vins et les trois couleurs sont demandées. La plus plébiscitée est notre entrée de gamme. En France, le prix proposé aux restaurateurs en direct pour ces vins est d’environ 4 euros. »
Sur le site Internet, www.winebutik.net, cette gamme se vend au public à 1 000 roubles soit environ 16 euros.

Ils importent du vin
• Rusimport, le leader du pays, est bien implanté en région. Malgré cette position, l’entreprise a fermé des filiales cette année.
• Simple, un des plus gros importateurs russes, est aussi éditeur de la revue spécialisée Simple Wine News. Les vignerons qui ont des articles sur leur domaine sont souvent référencés chez l’importateur. Des articles plus généraux sur des régions viticoles sont aussi édités.  
• Magnit, un des leaders de la distribution russe.
• Luding, qui référence plutôt
des négociants-producteurs
• WineDom, qui possède aussi son propre réseau de boutiques cavistes.  
• Azbuka Vkusa, cette chaîne moscovite d’épiceries fines haut de gamme possède des espaces dédiés au vin. Une grosse partie de l’approvisionnement se fait en direct import.
• Veld-21 : l’un des producteurs français référencés chez cet importateur nous signale ne plus avoir
de nouvelles depuis 6 mois.

 

Article paru dans Viti Vins Effervescents n°409 de septembre 2015.

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