"Industrielle ou de terroir, la viticulture en Russie est très dynamique "

Jean-Philippe Roby, enseignant-chercheur à Bordeaux Sciences Agro et consultant spécialiste des terroirs viticoles et de leur valorisation. Il accompagne entre autre des propriétaires de vignes en Russie. Agro-industriels et vignerons ont des objectifs produits différents, mais tous souhaitent moderniser leurs vignobles.

Dans la région caucasienne, le vignoble géorgien fait actuellement parler de lui. Il est plus étonnant d’associer la Russie à la production de vin. Est-ce à tort ?

Jean-Philippe Roby : Sur les bords de la mer Noire, en Russie comme en Géorgie, la vigne est présente depuis des millénaires.
Sur le territoire russe, on trouve des vignobles réputés dans la région de Kuban (proche de la ville de Krasnodar) avec la péninsule de Taman en particulier, à proximité de la mer Noire et de la Géorgie. Le Daghestan, près de la mer Caspienne est la deuxième région viticole russe en superficie. On trouve également des vignobles plus au nord comme  à Rostov-sur-le-Don.

Les propriétés comptent entre 0,5 et 12 000 ha de vignes pour la plus grande d’entre elles. Kuban Vino, fondée sur une ancienne une ferme d'État de l'époque soviétique, est trois fois plus étende que la plus grande coopérative bordelaise !

La Russie est donc un pays où la vigne peut être et est établie. Néanmoins, il est vrai que ce n’est pas un pays reconnu pour ses vins. Mais la filière est en plein renouveau.

Plantation de vigne en Russie (Roby)

Qu’attendent les propriétaires de vigne d’un agronome expert terroir ?

J.-P. R. : Dans les domaines familiaux, il y a un réel attachement aux cépages locaux. Parmi eux notons le saperavi, une variété de raisin noir tardive qui donne des vins tanniques présentant une bonne aptitude au vieillissement. Le krasnostop au contraire donnera des vins souples et fruités. Des vignerons avec lesquels je collabore souhaitent en faire des sélections massales pour les réhabiliter.

Je travaille aussi avec eux au choix des porte-greffe pour sélectionner ceux qui seront les plus adaptés aux terroirs de la région. En Russie, héritage de l’ère soviétique, il n’y a quasiment qu’un porte-greffe dans les vieilles vignes : le 5 BB. Mais les vignerons russes prennent conscience que ce n’est pas une situation optimale. Ils adoptent progressivement un concept nouveau pour le pays ; celui d’adaptation du matériel végétal et des pratiques au terroir.

Dans les complexes agro-industriels, ce travail va se faire avec des cépages internationaux, notamment ceux adaptés à l’élaboration de vins de base pour effervescents. Dans ces cas-là, sur les nouvelles parcelles, on opte pour une architecture qui permet une mécanisation maximale de l’itinéraire de production : des vignes palissées avec des densités de plantation de 2000-3000 pieds/ha et des écartements de 3 mètres entre les rangs. Tout en se basant sur les standards de qualité internationaux, les agro-industriels visent des coûts de production les plus bas possibles.

En parallèle, sur une partie de leur vignoble, soit souvent quelques centaines d’hectares par exploitation, ils vont aussi mettre en place une stratégie "terroir" avec des sélections parcellaires.
 

La filière viticole russe bénéficie-t-elle d’aide gouvernementale comme cela se fait au sein de l’Union européenne ?

J-P. R. : Depuis quelques années, des aides à la restructuration et à la plantation sont mises en place. Cela fonctionne avec un forfait par hectare. Pour l’installation d’un vignoble à faible densité, les aides peuvent couvrir jusqu’à 80 % de l’investissement.
 

"Le renouveau du vignoble russe est une opportunité pour les équipementiers français", Jean-Philippe Roby

Comment évaluez-vous le potentiel qualité des vins russes ?

J.-P. R. : Autour de la mer Noire, les terroirs sont diversifiés et certains sont magnifiques. Les dominantes pédologiques sont des sols argilo-calcaires (Kuban) mais on trouve également des terroirs sur schiste à Gelendjik ou sableux et volcaniques dans d’autres régions. Le climat est aussi propice. C’est un climat continental avec un été chaud et sec et cela jusqu’aux vendanges. Les jours sont chauds, les nuits sont froides. Ce sont des conditions idéales pour mener à terme la maturité des raisins destinés à l’élaboration de vins rouges de garde.

À côté de ces terroirs, on trouve aussi les fameux tchernozium, des sols profonds et fertiles, plus adaptés pour l’élaboration de vins blancs à consommation rapide et de vins effervescents.

Les maladies cryptogamiques sont aussi très peu présentes ; seul l’oïdium peut poser problème. C’est un avantage environnemental, économique mais aussi une aubaine car pour le moment les domaines sont peu mécanisés, ont peu de tractoristes qualifiés et ont accès à très peu de molécules phytosanitaires.

Le travail de restructuration est important mais, d’ici 4 à 5 ans, les vignerons comme les agro-industriels pourront véritablement tirer leur épingle du jeu sur le marché intérieur.


On comprend que la production se développe en Russie. Les métiers connexes à la filière connaissent-ils la même dynamique ?

J.-P. R. : Pas encore. Les Russes font appel à des fournisseurs étrangers. Il y a beaucoup d’entreprises italiennes, allemandes ou françaises sur place. Mais je retiens de mes différentes expériences, l’envie des vignerons que j’ai rencontrés de travailler avec les Français. Il y a un lien historique fort entre les deux pays qui remonte au début du XVIIIe siècle,  siècle des Lumières. Le terrain commercial est plus que favorable pour nos entreprises. C’est le moment d’y aller et de mettre de côté des a priori liés à des positions géopolitiques gouvernementales.

En revanche, il faut être organisé et agir en collectif. Pour présenter une offre de service complète mais aussi car les échelles peuvent parfois surprendre. Quand les entreprises agro-industrielles font des essais, ils sont déployés sur 50-100 ha ! Donc quand il s’agit d’une plantation il faut avoir des plants greffés-soudés en conséquence. Pour illustrer ce point, j’aime raconter une anecdote révélatrice. Kuban Vino, le domaine de 12 000 ha dont j’ai parlé précédemment, ne trouvait pas assez de plants. Les propriétaires ont donc décidé de créer leur propre pépinière. Ils ont produit 2 millions de plants la première année !

Une pépinière de vigne en Russie (Roby)

Propos recueillis par Séverine Favre

 

 

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